Elles viennent d'univers différents, mais elles se sont imposées comme deux figures féminines emblématiques qui ont marqué cette première partie de la compétition officielle du FIFM. Ce n'est pas par hasard, d'ailleurs, que toutes les deux donnent son titre au film qu'elles portent : Han Gong-ju, premier film du sud-coréen, Lee Su-Jin, et Ida du polonais Pawel Pawlikowski. Toutes deux sont victimes d'un traumatisme originel. Ida est fille d'une époque marquée par la guerre et ses drames et Han Gong-Ju est victime de rapports sociaux au sein d'une urbanité sauvage. Là la grande histoire, ici la petite histoire : mais les conséquences sont identiques; comment ces traumatismes vont forger des personnalités et offrir aux films la voie de façonner un parcours via des éléments iconiques, plastiques et sonores. Les deux films ne se contentent pas de raconter ou de plaider une cause mais dessinent les contours d'un univers où le non-dit est aussi éloquent que révélateur... Ida s'ouvre par une séquence aux images éblouissantes. Nous découvrons un couvent ; le personnage principal, une jeune novice qui s'apprête à prononcer ses vœux pour officialiser son entrée dans les ordres. Faire vœux de chasteté, d'obéissance et de pauvreté... comme le stipule la grande tradition chrétienne. La dirigeante du couvent l'autorise cependant à sortir pour aller retrouver une tante dont elle vient d'apprendre l'existence. Celle qui s'appelle en principe Anna va voir sa vie connaître un bouleversement. Cette sortie va se révéler un voyage dans la mémoire individuelle et collective. Nous sommes en Pologne communiste où l'après guerre porte encore des cicatrices indélébiles. Anna apprend, coup sur coup qu'en fait elle s'appelle Ida, qu'elle est juive et non chrétienne et que ses parents ont été massacrés. Les deux femmes vont alors sur la piste de cette mémoire blessée. Se révélant l'une à l'autre. Occasion aussi pour Anna/Ida de découvrir la vie ; de vivre une vivre une idylle avec un jeune musicien. Une fois le devoir de mémoire accompli au prix d'une concession : pour découvrir le lieu où les restes de sa famille sont enterrés, la jeune fille doit renoncer à la maison familiale, se posent pour elle des questions métaphysiques. Et après ? demande-t-elle à son jeune amant. La mémoire à un coût. Le film choisit une fin qui a fait débat parmi les cinéphiles : on la voit en effet, reprendre son costume de religieuse et marcher, valise face à la caméra, vers un point qui semble être un retour au couvent. Une métaphore de la Pologne qui a basculé après les années de laïcité imposée dans le religieux ? Un hommage à une figure féminine qui assume un choix individuel face aux incertitudes et aux doutes de la mémoire ? En fait, un retour à la séquence d'ouverture nous éclaire. On voit la jeune fille avec des collègues restaurer et embellir une statue de Jésus ; braver un environnement hostile, la neige et le froid pour sortir dans la cour remettre la statue sur son socle. Toute la suite du récit consistera à confirmer ce programme initial. La mise en scène nous le dit à sa manière ; jamais le protagoniste n'occupe entièrement le cadre ; on la voit toujours dans un coin du plan comme s'il y avait un hors champ qui planait sur son devenir. A la fin, la caméra la cadre comme héroïne, en revenant au centre du plan. Le hors champ marque aussi le récit du film coréen qui met en scène une jeune lycéenne, Han Gong-Ju. Abandonnée par ses parents, acculée à changer d'établissement scolaire, le film nous met d'abord en présence de son évolution psychologique face aux épreuves qu'elle rencontre, en évitant, choix judicieux du scénario et de mise en scène, de nous révéler frontalement le traumatisme originel ; celui du viol collectif dont elle a été victime. C'est un personnage fort qui se construit devant nous. La tension monte jusqu'au moment où tout le passé envahit l'écran. Cependant, Han Gong-Ju avait une passion : apprendre à nager. La vie se révèle être, en effet, un fleuve aux eaux troubles. Une bonne nageuse peut s'en sortir, surtout qu'en plus elle est douée en musique. C'est la belle fin du film.