Le Maroc a adopté une nouvelle constitution par voie de référendum en juin 2011. Les élections législatives sont intervenues le 25 novembre 2011. Les résultats ont donné 107 députés au PJD (Parti de la justice et du développement), dit «parti islamiste». L'Istiqlal, le parti qui a conduit le Maroc à l'indépendance est arrivé en second avec 60 députés, loin derrière le PJD. Le PJD a constitué un gouvernement dont il est l'armature principale avec l'Istiqlal, le Mouvement Populaire (32 députés), le Parti du Progrès et du Socialisme, ex parti communiste (18 députés). Nous n'évoquerons pas le programme électoral du PJD ni ses prises de position lorsqu'il était dans l'opposition. Il s'agit d'un autre sujet à traiter, qui s'éloigne du nôtre. Au cours des tractations qui avaient cours pour former le nouveau gouvernement, un des hauts responsables du PJD a déclaré que chaque parti au gouvernement doit voir une partie de son programme appliquée. Il s'agit d'un gouvernement de coalition et d'un programme de compromis qui reste à élaborer. Il s'agit, à première vue, d'un étrange attelage ; le PJD représente la classe moyenne citadine, allergique à l'intervention des autorités dans la vie économique ; le MP représente les notables ruraux. Le PPS est le successeur du parti communiste dont la philosophie est entièrement séculière. L'attelage fonctionne grâce à la culture marocaine empreinte de sunnisme malikite. Le maître mot de cette culture est l'istihsan ; il a été théorisé par le cadi Iyad (544H/1149) ; traduit en termes modernes, ce concept signifie compromis positif, compromis historique ou compromis gagnant - gagnant, au choix. Arrivé donc en tête aux élections législatives du 25 novembre 2011, le leader islamiste du Pjd a été nommé chef du gouvernement quatre jours plus tard. Le 3 janvier 2012, son cabinet était à son tour désigné par le Roi, avant son investiture par la Chambre des Représentants (élue pour cinq ans), le 29 du même mois. D'entrée de jeu, le nouveau chef du gouvernement a décidé de ne pas occuper le logement de fonction qui lui est attribué. Il a également réduit son traitement à 50.000 dirhams mensuels. C'est un premier signal donné quant à la politique qu'il entend mener. Je n'aime pas employer le terme austérité qui est habituellement utilisé. Je dirais qu'il est question d'une politique de sagesse puisqu'il s'agit de plafonner ses dépenses à la hauteur de ses recettes. Nul ne peut prétendre vivre à crédit en permanence. Traduit en jargon économique, cela signifie dynamiser une économie après avoir consolidé ses fondamentaux. Le gouvernement a travaillé, a beaucoup consulté et n'a pas évoqué le poids de l'héritage. Celui-ci est pourtant très encombrant, il convient d'en faire état en début d'exposé. Voici quelques agrégats de la comptabilité nationale qui donnent la mesure des problèmes que ce gouvernement à dominante islamiste doit affronter. A fin 2011, le PIB s'élevait à 814 milliards de dirhams. Le secteur informel aurait contribué pour 17% à la production de la richesse nationale. Si vous voulez convertir ces chiffres en euros, comptez un euro pour 11 dirhams environ, sachant que nous sommes en période de change variable et que, depuis 2011, l'euro s'apprécie lentement par rapport au dirham. L'épargne nationale s'élève à 28,87%du PIB, ce qui est faible ; la consommation nationale représente 77%, du PIB, ce qui est excessif. L'endettement public représente 71,50% du PIB, ce qui n'est pas raisonnable et le service annuel de cette dette représente 2,14% du PIB, ce qui est supportable. L'ensemble de ces éléments fait que le déficit budgétaire s'élève à 9,21% du PIB. Ce qui est insoutenable. Les conséquences de cette situation comptable se retrouvent dans les chiffres de la balance des paiements : Au 31 décembre 2011, le déficit de la balance commerciale a atteint 185 milliards de dirhams soit 23% du PIB. A fin octobre 2012, ce déficit s'établissait à 163,9 milliards, en augmentation de 10% par rapport à octobre 2011. Ce déficit a été financé par les opérations autres que commerciales à hauteur de 171% en 2001 et à hauteur de 63% en 2011. Traduits en termes simples, ces chiffres signifient que les Marocains consomment plus qu'ils ne produisent. Il s'agit d'un sport international que connaissent des pays comme l'Espagne, la France, l'Italie et la Grèce. Ce sont des pays riches, le Maroc ne l'est pas. Ces chiffres se prêtent à plusieurs lectures. J'appelle un pays sous-développé, un pays incapable de maîtriser l'évolution des principaux postes de sa balance des paiements. Ceci étant, le nouveau gouvernement a pris les mesures classiques pour faire face à cette difficile situation. I - Poursuite de la politique des emprunts : Le nouveau gouvernement n'a pas dérogé à la règle de la recherche systématique d'emprunts extérieurs en devises. Au premier semestre 2012, les financements extérieurs mobilisés, en accroissement de la dette en devises ont atteint près de 7,9 milliards de dirhams. La ventilation de la destination de ces emprunts est significative : le budget de l'Etat se réserve 1,8 milliard de dirhams pour ses besoins ; le reste, soit 6,2 milliards de dirhams sont destinés aux entreprises publiques. Plusieurs lectures de cette ventilation sont possibles ; les entreprises publiques marocaines ne publient pas leur bilan. Par conséquent, l'économiste n'a rien à dire de consistant et ne peut que formuler des hypothèses ; pour ma part, je considère qu'il reste de nombreuses privatisations à réaliser. On dénombre 239 établissements publics et 42 entreprises dont 33 directement contrôlées par l'Etat. La plupart détiennent des filiales et participations dont 194 à participation publique majoritaire. Privatisées, ces entreprises publieraient leur bilan ; en l'absence d'informations, nous pouvons avancer l'idée que le contribuable marocain finance l'activité de ces entreprises. A cet égard, la presse a fait état de la révision à la hausse des tarifs d'eau et d'électricité prévue pour pallier à un déficit de trésorerie de 5,2 milliards DH de l'Office national de l'électricité. Nous n'en saurons pas davantage. Les prêteurs à l'Office ont accès à son bilan ; mais les Marocains n'y ont pas droit. Ce manque de transparence a un coût, supporté par le contribuable ; il est en outre un signe de sous-développement. Il est bon de donner la liste des prêteurs ; les noms des organismes prêteurs peuvent donner lieu à plusieurs lectures aussi : Deux prêts de la Banque Africaine de développement (BAD) pour un total de 3,9 milliards de DH. Un prêt de la Banque Européenne d'Investissement de 467 millions de DH. Un prêt conjoint de la BM et de la BAD de 2,4 milliards de DH. Deux autres prêts de la Banque Mondiale pour 556,6 millions de DH. Deux prêts de la Banque Mondiale (BM) pour un montant total de 3,4 milliards de DH. Ces prêts n'ont pas suffi au financement des importations, entre autres. C'est pourquoi, en juin 2012, le Maroc obtient auprès du FMI, une ligne de précaution de liquidités de 6,2 milliards de dollars, assurance pour amortir des chocs externes (prix du pétrole, par exemple), prélude à un financement sous tutelle du FMI. Le Maroc obtient aussi un prêt dit d'urgence de 127 millions de dollars du Fonds monétaire arabe. En fin décembre 2012, le Maroc a pu placer son premier emprunt obligataire en dollars à Londres, d'un montant de 1,5 milliard de dollars. Dans le détail, une première tranche d'un milliard de dollars au taux de 4,25% (contre 4,47 pour l'Italie, 5,41% pour l'Espagne et 7,49% pour le Portugal.) La seconde tranche de 500 millions de dollars, remboursable sur trente ans au taux de 5,50%. Incontestablement, cet emprunt signifie la confiance que certains prêteurs font au nouveau gouvernement. Toujours en fin décembre 2012, La Banque Mondiale exécute un swap de devises d'un milliard de dollars qui prémunit le pays contre les fluctuations du dollar. Ces mesures permettent de soulager ponctuellement la trésorerie en devises du pays, en attendant les réformes de fond qui renverseront la tendance. Nous ignorons le coût du swap ; il tient sans doute compte du dirham, monnaie administrée et surévaluée par rapport au dollar. La politique d'emprunts extérieurs s'est poursuivie en 2013. En février 2013, Le Maroc a obtenu un prêt de la banque Islamique de développement (BID) de 2,5 milliards de DH. Nous apprenons par la presse que l'appui financier de la BID s'est élevé à 8,1 milliards de DH entre 2007 et 2012. Toujours en février 2013, le Maroc reçoit un don de l'Arabie Saoudite de 400 millions de dollars. Encore en février 2013, le Maroc obtient un nouveau prêt de la Banque Mondiale de 130 millions de dollars. En février 2013, toujours, le Maroc reçoit du Koweit un don de 1, 25 milliard de dollars. Il convient de noter que ces prêts et dons ne sont pas de purs moyens de trésorerie destinés à aider à la gestion de la balance des paiements. Chacun de ces prêts a pour objectif un investissement concret. Ainsi, par exemple, ce dernier prêt de la BM est destiné à développer l'accès des citadins aux services de collecte et de traitement des ordures et création jusqu'à 70 000 emplois dans les activités de recyclage des déchets. Les dons arabes ont des objectifs similaires. Il n'en reste pas moins que les dollars ainsi reçus pallient les insuffisances des échanges extérieurs du pays. La confiance des organismes prêteurs demeure dans la capacité du gouvernement de faire face aux défis de l'assainissement. Le nouveau gouvernement traîne donc une politique à bout de souffle. Le FMI ne sera pas appelé à intervenir tant que le Maroc obtiendra des prêts en devises. Et pour le moment, le Maroc demeure maître de ses décisions économiques. Le 1er mars 2013, Monsieur José Manuel Barroso, président de la commission européenne, était à Rabat ; il s'est entretenu avec le chef du gouvernement marocain. Ils ont évoqué plusieurs points communs. A cette occasion, la presse a révélé que Maroc a bénéficié, au cours de l'année 2012, d'un ensemble de prêts de un milliard d'euros, de la part de la Banque européenne d'investissement. Tous ces montants ne changent rien à la situation : les Marocains consomment plus qu'ils ne produisent ; une politique de compression de la demande s'avère toujours nécessaire en l'absence d'une politique de croissance des exportations de biens et services. Le gouvernement le sait ; des projets sont mis en œuvre en ce sens ; on n'en connaît pas le résultat. Cette liste d'emprunts n'est pas exhaustive. Il faudrait y ajouter les prêts bilatéraux émanant d'organisme comme l'USAID ou l'Agence française du développement (AFD) et ces organismes sont nombreux. Je ne m'interroge pas sur la pertinence des prêts et dons, mais seulement sur leur capacité de fournir des devises pour la consommation courante des Marocains. Cette avalanche de chiffres cités me permet de montrer que le Maroc est capable de mobiliser de nombreux prêts et dons en devises ; mais il n'a pas été capable de les gérer au mieux dans l'intérêt de sa trésorerie en devises. Cette défaillance provient, me semble-t-il qu'aucun ministère, aucune autorité n'est responsable de cette gestion. Le ministère des Finances gère la dette marocaine et emprunte pour rembourser. La banque centrale reçoit les devises récoltées par les banques auprès des opérateurs économiques et demeure passive quant à la sauvegarde des avoirs extérieurs. Elle laisse filer les devises sans commentaires, conformément, d'ailleurs à la loi ; il n'y a rien d'illégal dans cette politique qui conduit le pays tout droit à une situation de cessation de paiements. Les réformes de fond consistent à réduire la consommation au niveau de la richesse nationale. Nul peuple ne peut vivre en permanence au-dessus de ses moyens et pourtant, la plupart s'y engagent un jour ou l'autre. Ces réformes sont douloureuses pour les plus faibles. Aussi doivent-elles être accompagnées, en principe, de mesures en faveur des démunis. Ce n'est pas toujours possible car les possédants ont les moyens de défendre leurs revenus. L'expérience du xxe siècle montre que les pays pauvres ont le choix entre les émeutes de la faim, si l'assainissement épargne les possédants ou les soulèvements militaires si l'assainissement épargne les pauvres. Tel a été le choix des pays qui ne savent pas gérer leurs avoirs en devises. Le périlleux pari consiste à comprimer de façon drastique la demande nationale et, dans le même temps, à dynamiser la production nationale par l'épargne et l'investissement afin d'accroître la richesse nationale et d'arriver à l'équilibre. Ces réformes demandent du temps pour produire leurs effets ; on ne peut les juger sur une année. Cependant, elles sont intéressantes à étudier. Elles indiquent une tendance que va suivre l'économie du pays. Les statistiques données ci-dessus ne valent pas démonstration. Elles sont une illustration des difficultés qui attendent le nouveau gouvernement. Les mesures prises : Il nous faut voir à présent, les mesures prises par le nouveau gouvernement pour mener à bien le nécessaire assainissement des finances publiques et le redressement de la balance des paiements. Les projets en cours d'étude sont nombreux ; mais je ne retiendrai que ceux qui ont reçu un début d'exécution. II - Les transferts de solidarité Parti de la justice, le parti aux commandes se devait de mériter son appellation en prenant des décisions qui répondent à la soif de justice de la population. Les décisions prises représentent une nouveauté par rapport aux coutumes en vigueur jusqu'ici. Voici les projets lancés : 1 – Création du Fonds de cohésion sociale : Ce fonds a pour objet le financement de mesures à caractère social. La taxation des hauts salaires a été présentée comme un moyen d'alimenter le Fonds de cohésion sociale. La loi de finances 2013 a créé de nouveaux impôts à cet effet. Une taxe supplémentaire est imposée aux hauts revenus selon les modalités suivantes : Salariés Revenus annuels nets De 360 000 à 600 000 DH 2% De 600 000 à 840 000 4% Au-delà de 840 000 6% Entreprises : Bénéfices annuels nets De 15 à 25 millions de DH 0,5% De 25 à 50 millions de DH 1% Au-delà de 100 millions de DH 2% Cette mesure n'aura cours que durant trois ans, en attendant la réforme de la Caisse de compensation. La taxation supplémentaire des salaires a suscité des protestations de la CGEM, organe du patronat marocain. Les syndicats sont demeurés silencieux. Au Maroc, les hauts cadres semblent assimilés aux patrons. En ce moment, la protestation se poursuit toujours. D'autres taxes, de moindre importance, sont affectées à ce fonds. Augmentation du prix de vente des cigarettes, par exemple ou TVA non déductible pour les livraisons faites à soi-même et transférée au Fonds ; cette taxe touche de plein fouet la construction d'agences bancaires ou l'immobilier des compagnies d'assurances ; elle peut rapporter beaucoup si la conjoncture s'y prête. Ces ressources sont employées de la manière suivante : 2 - Régime d'assistance médicale (Ramed) : Le Fonds de cohésion sociale assure le financement d'un régime d'assistance médicale (Ramed) au profit des démunis. Le régime d'assistance médicale (RAMED), lancé en 2008 à titre expérimental a été généralisé en mars 2012. Il s'adresse aux personnes non assurées et qui ne peuvent faire face aux dépenses de santé, soit une population de 8,5 millions de bénéficiaires (28% de la population). Le RAMED compte actuellement plus de 2 millions de bénéficiaires. Les personnes qui bénéficient gratuitement du Ramed ont un revenu annuel inférieur ou égal à 3767 dirhams. Plus de 3262 médicaments sont admis au remboursement. L'Etat assure 75% des ressources financières du régime. Dans le cadre de la loi de finances 2013, le budget affecté par l'Etat au RAMED s'élève à 3 milliards de dirhams. Le niveau des dépenses du Ramed devrait passer pour les médicaments de 1,2 milliard de DH en 2012 à 2 milliards pour 2013. 3 - Fonds d'entraide familiale Destiné à fournir une pension aux femmes divorcées dont les ex-maris ne paient pas de pensions alimentaires pour les enfants. Avec un plafond de 1000 dirhams environ. Ce fonds a été adopté par le Parlement à l'unanimité le 4 novembre 2011 et promulgué par une loi du 30 décembre 2011. Le Fonds d'entraide familiale est habilité à verser une pension (nafaqa) aux femmes et aux enfants mineurs en cas de non-paiement par l'ex-époux. 160 millions de dirhams alloués en 2011 étaient disponibles. Les premiers paiements des avances ont été effectués en juin 2012 sur une base mensuelle. A fin décembre, ce sont 803 dossiers qui ont été traités. Avec paiement de 2 558 580 dirhams. Les ex-maris seront poursuivis pour le recouvrement des créances devenues publiques. Ces actions de solidarité sont d'une tonalité tout à fait nouvelle. Le PJD applique son programme sans faiblesse. Il y associe des partis qui ont déjà exercé le pouvoir par le passé. Ces actions donnent à la population un sentiment d'une justice dont le règne commence. Il faut noter que ces mesures, désormais prises, étaient demandées avec insistance, par la Banque Mondiale, chaque année, depuis 1986. Il a fallu, quarante années de réflexion ou de résistance, pour qu'elles aboutissent. III – L'affichage des rentiers. La politique de la rente fait l'objet d'un débat qui remonte à Ricardo, au 18ème siècle, en Grande Bretagne. Un de ses disciples, Jean-Baptiste Say a séparé le rentier de l'entrepreneur. Celui-ci est un producteur de richesses. Le rentier, quant à lui, a accès à des postes et à des sinécures dont dispose le gouvernement. Il s'agit d'un enrichissement sans cause ; à ce titre, il est supporté par l'ensemble des contribuables. La politique de la rente a commencé au Maroc avec l'instauration du protectorat français et n'a pas disparu avec lui. Les bénéficiaires ont changé, mais les nuisances du système sont restées. La rente est devenue une sorte de droit naturel. La politique du PJD va bouleverser ce panorama. Instituée en 1912 au Maroc, la rente a été conçue pour se perpétuer en perpétuant la pauvreté. Un siècle plus tard, en 2012, elle est, pour la première fois, remise en cause. Issue de l'alphabétisation progressive, la classe moyenne ne cherche pas l'appui de l'Etat pour ses activités productrices ; elle n'a pas recours davantage au crédit bancaire ; c'est pour elle que le PJD a déposé un projet de loi instituant les produits financiers islamiques. Cette tentative d'explication est une hypothèse, une simple lecture des événements. Elle illustre cependant la politique du nouveau gouvernement. A ce titre, le ministre des transports publie sur son site la liste des bénéficiaires des agréments de transport. Toute activité de transport est illégale si elle ne s'appuie pas sur un agrément préalable délivré par les autorités. Tous les partis traditionnels, y compris ceux qui sont au gouvernement, ont protesté contre cette publication. Et pourtant, sur le plan économique, elle peut paraître judicieuse. Un titulaire d'un agrément de transport n'est généralement pas un professionnel. Il loue son agrément à un utilisateur et en tire une rente. Cette rente renchérit le coût du transport. Cette rente pèse, à la hausse, sur l'indice des prix. Les titulaires des agréments forment une corporation limitée en nombre et celle-ci maximise son profit. La politique des agréments pousse à la pénurie des véhicules de transport. Il se crée alors un marché informel du transport qui échappe à l'agrément et aux impôts. Cette liste a été publiée sans commentaire. Simplement les noms des titulaires. On comprend que le gouvernement ne donnera plus d'agréments ou ne les refusera à personne. Pour autant la liberté d'entreprendre dans le secteur n'est pas proclamée. Le gouvernement publie également la liste des bénéficiaires des carrières de sable. Dans ce cas, l'Etat donne à des particuliers à titre gratuit un avantage qui appartient au domaine public. Il s'agit d'une rente qui prive le budget de l'Etat de recettes bienvenues en cette période de pénuries. Il n'y a pas de petits bénéfices. On s'attend à d'autres publications car les agréments structurent l'économie du pays. Mais il y a une forte résistance. Parfois, la suppression de la rente permet d'affirmer l'autorité de l'Etat. C'est ainsi lorsque le gouvernement décide de retenir sur salaires les jours de grève effectués par des fonctionnaires. Cette disposition existe dans la loi ; mais elle est rarement appliquée. Elle l'est désormais. Depuis, les syndicats n'ont cessé de protester contre cette décision. Premier frappé, le syndicat de la Justice. 2771 greffiers en grève ont fait l'objet de prélèvements sur salaires. Le syndicat a estimé que ce prélèvement était anticonstitutionnel. Le ministre PJD de la justice a répondu que la grève a coûté plus de dix millions de dirhams à son département et 472 928 heures de travail. Le gouvernement ne plaisante pas avec la réduction du déficit budgétaire. Le gouvernement a été accusé d'atteinte aux libertés syndicales. Son chef a répliqué qu'entre janvier 2012 et fin octobre 2012, le pays a connu 17184 manifestations sur la voie publique avec la participation de plus de 921 000 personnes. Manifester l'autorité de l'Etat et réduire les déficits publics ; c'est le but recherché quand le chef du gouvernement annule une décision prise par le gouvernement précédent d'embaucher 4300 diplômés chômeurs. Le gouvernement a instauré un contrôle quotidien de la liste des présences dans les administrations publiques. Le gouvernement a également pris la décision d'interdire le cumul des fonctions entre le public et le privé dans l'enseignement et la santé. S'agissant de l'enseignement, on estime que cette interdiction permettra au secteur privé d'embaucher trente mille nouveaux enseignants ; cette mesure offre des perspectives d'embauches aux diplômés des facultés. La décision prise à l'encontre des médecins du secteur public n'a pas, pour le moment, fait l'objet de commentaires de la part de ces derniers. La politique de rente concerne aussi les étudiants. Le ministre de l'Enseignement Supérieur vient de rendre public la liste des résidents des cités universitaires du pays. La liste viendrait mettre à nu les étudiants dont les parents sont aisés et ne sont pas éligibles à bénéficier de la cité universitaire. La politique de rente est multiforme et le gouvernement la combat sur tous les fronts. On accuse ce gouvernement d'être populiste. C'est possible. En attendant, la politique qu'il mène ne lui vaut pas que des amis, loin de là. Il applique son programme de bonne gouvernance. Le virage pris est grand et les nantis se défendront. IV – Les décisions d'ordre économique L'année 2012 s'est terminée par la décision du Parlement d'intégrer les comptes spéciaux du trésor au budget de l'Etat. Jusque-là, ces recettes étaient laissées à la discrétion du Ministre de Finances. C'est une avancée importante sur le plan de la transparence, en même temps que des recettes supplémentaires dans une période où il faut réduire le déficit budgétaire. Ce déficit, non soutenable, même réduit à 6,2%, résulte essentiellement des charges de la Caisse de compensation. Celles-ci se sont élevées à 55 milliards de dirhams contre une prévision faite de 32 milliards. Elle consomme 8% du PIB. Une décision a été prise pour atténuer ces charges : une augmentation de 20% des prix à la pompe des carburants. La décision est audacieuse ; aucun gouvernement n'avait osé la prendre. Le gouvernement a fait face à la fronde des chauffeurs de taxis et des transporteurs. Il a su les réduire au silence. Pour mémoire, la caisse de compensation finance les produits de première nécessité dont le coût est sensé être trop élevé pour la population marocaine. Plusieurs hypothèses sont émises pour réduite la Caisse de compensation ou même pour l'éliminer définitivement. Rien n'est arrêté, le gouvernement s'est donné jusqu'à juin 2013 pour se prononcer. Une des hypothèses retenues est de verser des aides directes sous la forme de paiements mensuels à hauteur de mille dirhams, aux deux millions de familles les plus pauvres en contrepartie de la libéralisation des prix compensés. Il ne s'agit que d'une hypothèse. La liberté des prix compensés conduirait à un taux d'inflation de 7%, contenu jusqu'ici à 2%. Egalement en ligne de mire, la masse salariale budgétisée a franchi le seuil de 12% du PIB. D'après les standards internationaux, elle ne devrait pas dépasser le seuil de 10% du PIB. Ces mesures constituent une première tentative pour réduire les dépenses de l'Etat. Le gouvernement refuse d'imposer un impôt sur la fortune. Le gouvernement a aussi dispensé 80% des Marocains de la taxe audiovisuelle prélevée dans les factures d'eau et d'électricité tout en augmentant les tarifs de l'eau et de l'électricité. Augmentation des impôts pour les gens aisés ; au contraire, réduction des charges pour les moins fortunés, ainsi va la politique du gouvernement. Ce sont des mesures nécessaires, mais elles ne forment pas une politique générale ; en 2012, ce gouvernement n'a rien dit sur l'agriculture, la politique monétaire, ou encore sur la corruption. Il n'en demeure pas moins que les dispositions de la loi de finances pour 2013 sont insuffisantes pour une réduction crédible des déficits. L'expérience de 2012 montre à l'évidence que le parti islamiste n'a pas peur de prendre des mesures qui seront impopulaires. Mais se maintiendra-t-il au pouvoir jusqu'à la fin de la législature ? L'avenir le dira.