Inclure la coopération décentralisée Le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, avait déclaré à propos des relations de la France avec le Mali, mais cela peut recevoir application à l'ensemble de la politique extérieure de la France, qu'il fallait orienter ces relations vers une diplomatie «multidimensionnelle» incluant la coopération décentralisée. Il est clair que cette remarque n'est pas de simple conjoncture car la coopération décentralisée est depuis de nombreuses années une orientation importante des relations diplomatiques de la France avec de nombreux partenaires, notamment en Afrique, qu'il s'agisse de l'Afrique subsaharienne ou du Maghreb. Et l'on peut penser que la visite au Maroc du Président de la République Française, François Hollande, entamée le 3 avril 2013, est l'occasion d'inclure la coopération décentralisée dans les perspectives de développement des relations maroco-françaises au cours des prochaines années. En effet, la déclaration du ministre français des Affaires étrangères reflète parfaitement l'importance que revêt aujourd'hui l'action internationale des collectivités locales qui est entrée dans le quotidien de l'action des collectivités locales principalement des communes et des régions, mais aussi des collectivités départementales. Le 23 juin 2011, un appel à projet dans le cadre du dispositif franco-marocain d'appui à la coopération décentralisée (Projet d'accompagnement au processus de décentralisation – PAD) a été présenté à la presse à Rabat en présence du secrétaire d'Etat au ministère de l'Intérieur, de l'ambassadeur de France au Maroc, du Délégué à l'action extérieure des collectivités locales auprès du ministère français des Affaires étrangères, du Président de la fédération des collectivités locales, Cités Unies France, et de nombreux élus locaux marocains et français. Cette coopération est née au Maroc comme en France d'une pratique apparue au lendemain de la deuxième guerre mondiale pour ce qui concerne la France et au lendemain de l'indépendance s'agissant du Maroc. Elle a pris initialement la forme du jumelage inter-villes, lié le plus souvent à des relations entre des personnes qui avaient pu se rencontrer de façon aléatoire comme ce fut le cas pour l'un des premiers jumelages entre Temara et Saint Germain en Laye. Elle a pu également prendre une forme emblématique comme le jumelage de la ville de Rabat avec celle de Bordeaux. Mais, quelle que soit la forme qu'elle a pu prendre, y compris une forme plus institutionnelle, cette coopération a favorisé la réconciliation et la connaissance mutuelle entre des sociétés qui avaient pu se heurter au cours des péripéties de la domination coloniale et de la lutte pour l'Indépendance. Les jumelages inter-villes ont ainsi connu un notable développement dans le cadre d'accords qui prévoyaient des rencontres purement protocolaires entre élus des diverses collectivités. Mais aussi des échanges d'écoliers ou des visites d'habitants, de personnels administratifs et techniques des collectivités locales. Ces jumelages ont sans aucun doute favorisé la connaissance mutuelle et ainsi l'intérêt du développement de relations qui pouvaient se manifester dans les domaines autres que celui des simples relations de courtoisie entre villes. Comme ce fut le cas dans les domaines de l'action culturelle, l'organisation et l'action administrative ou bien le développement économique et social. Rapidement, il est apparu que ces relations pouvaient également être mises en œuvre entre des collectivités de différents niveaux à l'instar des départements, des provinces et des régions. Par ailleurs, la réussite des relations entre collectivités diverses explique aussi la création d'organisations non gouvernementales dédiées à la collaboration entre collectivités de divers pays telles Cités Unies, qui concerne principalement les collectivités urbaines, ou bien encore l'Association internationale des régions francophones et l'Association des villes arabes. Mais il faut aussi souligner le fait que dans le sillage de ces coopérations entre collectivités publiques, des associations privées se sont créées pour conduire des actions complémentaires à celles que prenaient en charges les collectivités locales. La croissance de ces actions de coopération entre les collectivités locales a été prise en compte par le législateur en raison de l'importance qu'elle présentait pour le développement local mais aussi pour le renforcement des liens qui unissent les communautés marocaines et françaises. La réalité montre en effet que de nombreux accords ont été conclus pour favoriser le développement local dans différents domaines tels la modernisation des méthodes de gestion des affaires locales, le développement du tourisme notamment le tourisme solidaire et durable, la protection du patrimoine architectural, la valorisation de l'artisanat, les actions favorisant la protection de la santé, l'aide à la scolarisation ou encore la vulgarisation agricole. La législation applicable aux collectivités locales a officialisé ce dont la pratique des accords de jumelage avait démontré l'utilité. En France, le fait que l'Etat ait le monopole de la conduite de la politique étrangère a pendant longtemps fait obstacle à la reconnaissance d'une compétence locale dans le domaine de l'action extérieure. Mais devant la réalité de cette coopération et sur la base du principe constitutionnel de libre administration des collectivités locales, la loi sur l'administration territoriale de la République du 6 février 1962 ainsi que la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire du 4 février 1995 ont officiellement reconnu l'existence de l'action extérieure des collectivités locales. Au Maroc, cette reconnaissance est également liée au succès des jumelages qui se sont beaucoup développés à partir des années 1980 ainsi qu'au développement des relations du Maroc avec l'Europe et, au sein de celle-ci, avec certains pays membres auxquels le royaume est particulièrement lié, du fait d'une longue histoire partagée, que ce soit l'Espagne ou la France. Toutefois, comme le Roi est responsable de la politique étrangère, les accords de coopération étaient soumis à son approbation. C'est seulement dans le projet d'autonomie des provinces du Sud que l'on découvre pour la première fois une disposition reconnaissant officiellement la compétence de la collectivité régionale. Toutefois, cette orientation a été également encouragée depuis plusieurs années par les divers plans d'action que l'Union européenne a élaborés en accord avec le Maroc et qui sont destinés à dynamiser la décentralisation et à favoriser la mobilisation de la société civile en faveur du développement local. En 2008, l'Ambassadeur de France au Maroc déclarait que « les collectivités locales françaises étaient de plus en plus nombreuses à s'engager dans des actions de coopération décentralisée avec leurs homologues marocaines. Ce qui constitue un reflet du caractère étroit des liens qui unissent nos deux pays. Près de quarante accords de partenariat ont été ainsi conclus au fil des ans faisant du Maroc un des tous premiers partenaires des collectivités locales françaises ». Et la réalité d'aujourd'hui n'a rien à envier à celle que l'on pouvait constater alors. A cet égard, on doit citer la région de l'Oriental qui illustre parfaitement la réussite de ces actions de coopération, tant au niveau de la région proprement dite qu'à celui de ses composantes locales. Ce qui est finalement conforme au rôle pilote que doit jouer la région en faveur du développement régional dans le cadre de la régionalisation avancée telle qu'elle est conçue par l'article 143 de la Constitution. En effet, dès 1986, la Région de l'Oriental a pris en quelque sorte la tête du mouvement de la coopération décentralisée en signant un accord de coopération avec la région Champagne-Ardennes dans le cadre du projet PAD, dont l'objectif général était de développement socioéconomique de l'Oriental. Cet accord a été renouvelé à Oujda en juin 2008 en présence de l'Ambassadeur de la France qui a rappelé que « cela faisait vingt deux ans que ces deux régions travaillaient ensemble ». En outre, la Région de l'Oriental a favorisé la signature, en 1998, d'un accord de coopération entre la Commune urbaine d'Oujda et la ville d'Aix-en-Provence, ainsi qu'avec la ville de Lille en 2005. Tandis que le Conseil général de Seine Saint-Denis s'engageait aux côtés de la commune de Figuig. Enfin en mars 2012, c'est une délégation de la ville de Grenoble qui s'est rendue à Oujda pour signer une convention de coopération. Laquelle sera solennisée par l'inauguration d'une place de Grenoble au cœur de la ville d'Oujda. On ajoutera que la coopération décentralisée poursuit des objectifs concrets qui sont développés sur la base d'accords-cadres tels ceux qui ont été signés entre la Région de Rabat-Salé et la Région du Rhône-Alpes ou encore entre la Région de Tétouan et la Région de Provence-Côte d'Azur. Il faut espérer que le projet de la régionalisation avancée vienne conforter cette expérience favorable au développement régional et à l'ouverture sur l'extérieur des nouvelles régions marocaines. Dans cette perspective, la future loi organique prévue par l'article 146 de la Constitution devrait consacrer officiellement la compétence de l'ensemble des collectivités locales en matière de coopération décentralisée internationale et préciser les conditions de son exercice de façon à permettre le renforcement de cette forme de coopération. Quant à la France, elle semble disposée à suivre une orientation identique. On peut d'autant plus le penser que la Commission nationale de la Coopération décentralisée a présenté diverses propositions destinées à promouvoir l'action extérieure des collectivités locales. Toutes ces propositions ont reçu l'aval du Ministre des Affaires étrangères qui a par ailleurs annoncé la création d'une conférence annuelle libellée, « diplomatie et territoires », dont il assurera la présidence et qui devrait s'inscrire dans cette perspective. Nul doute qu'à la faveur de la visite du Président Hollande, cet aspect des relations du Maroc et de la France fera l'objet d'une particulière et bienveillante attention que justifierait pleinement le succès actuel de cette forme de coopération. Laquelle est essentiellement orientée vers les questions de développement local et de proximité, c'est à dire sur les besoins quotidiens de la population ainsi que sur le renforcement de leur connaissance réciproque. *Président honoraire de l'Université des sciences sociales de Grenoble Conseiller auprès du Centre d'Etudes Internationales