Quelle compréhension et quel usage la société marocaine a-t-elle de la loi? Discuter de la relation des marocains avec la loi est un sujet épineux difficile à cerner . La société marocaine souhaite fortement devenir un Etat de droit, une requête légitime justifiée par la ratification des conventions internationales des droits humains, l'éveil démocratique et les mouvements sociaux. Pourtant une observation socio-anthropologique des scènes de la vie quotidienne permet de constater que dénigrer ou éviter la loi est un comportement inhérent à la société marocaine. La loi n'est pas toujours perçue par tous comme un moyen de justice, mais plutôt comme un instrument pour vaincre l'Autre qui peut être un adversaire social, de droit, ou d'opinion. Il est aussi important de constater, que dans de la société marocaine, la loi au niveau de la pratique quotidienne n'a pas une consistance ou existence réelle. Les présomptions et les représentations de celle-ci prennent une place priviligiée dans les discussions et les débats des groupes. Les lois sont perçues comme un pluriel indivisible sous l'expression «alkhanoun». Rares sont ceux qui usent de l'appelation «al khawanin» pour se référer à la loi comme un état de droit et de justice. La loi non plus n'est pas synonyme ni de droit, ni de justice. Malgré la consommation démésurée au niveau langagier qui peut induire en erreur, la société marocaine reste otage de sa difficulté à répérer ou situer les fondements et les références des lois. Assez souvent, la confusion persiste entre les lois sociales, les lois religieuses, et les lois «juridiques». Nous pouvons déduire dans un premier temps, que cette confusion est du à l'ignorance de la majorité de la société marocaine des lois. Cependant, elle est aussi le résultat d'une difficulté plus profonde ;celle de la société à se situer dans ses choix et ses orientations juridiques sociales, culturelles et politiques. La société marocaine vit une forme de contrastedans sa gestion identitaire. Elle peine à vouloir hiérachiser, imbriquer ou à forcer le metissage de plusieurs modèles culturels ou encore à confronter un ensemble de références contradictoires de lois religieuses, juridiques et sociales. A savoir que cette démarche crée de plus en plus une confusion de cohérence, une dissonance dans le comportements des marocains. De plus en plus on promulge des lois d'interdiction, desanctionpour faire respecter l'organisation sociale, professionnelle. La loi devient ainsi l'unique «solution alternative», la réponse «mirage» pour contraindre les individus à se conformer à la règle, mais surtout à assurer leur responsabilité. Dans la gestion habituelle, on observe ces initiatives comme une injonction. Dès la promulgation d'une loi, on observe une agitation sociale, une situation d'attenteet de questionnement sur l'applicabilité de la dite loi. Une forme d'inquiétude et de suspicion s'installe car la promulgation d'une nouvelle loi est perçue comme une forme de désordre. La société marque un temps de silence, de soutien, d'acceptation, ou de refus de la loi avant de revenir à sa «normalité». Les habitudes reprennent vite et les remarques sur l'efficacité de la loi refont surface. Il est aussi sujet de la personnalisation de la relation aux lois, l'on assiste également à une personnalisation de l'intêrét et de l'usage de la loi. L'interet général, public ou de la collectivité n'est nullement évoqués.I l s'agit tout d'abord de tirer profit des références organisationnelles existantes. Une forme de confrontation entre satisfaits et insatisfaits occupe alors la place publique. D'une manière répétitive, la société se positionne dans une relation de dominant et dominé. Ce «duel», peut-être légitime, est enraciné assez souvent dans une «motivation profonde» qui traduit inéluctablement un besoin personnel d'enfreindre ou d'éviterla loi. La relation de la société marocaine aux lois est complexe, elle est d'abord une relation à l'ordre, au désordre, à la contrainte, au respect de la règle. Mais plus profondement au rejet de la contrainte du respect de l'ordre. Dans le sens commun de la société marocaine, la loi est aussi un sujet de sacralité, une forme de coexistence frontale «sacré et profane». Laisser entendre que la loi est une invention humaine qui peut être sujette à évolution est prise assez souvent pour une violation du sacré. La loi est inerte. Un glissement aussi s'opère dans la relation à la loi. Elle n'est pas comprise comme un moyen de protection des individus, mais comme une mise en danger des individus. Elle est conçue comme un corps étranger qui ne peut être «incorporé sans infecter». Ainsi, elle est en permanence escamotée, négociée, contournée. La loi reste ainsi une labyrinthe à éviter, on essaye tant qu'on peut de ne pas s'y frotter et on pense mille stratégie pour y parvenir. *Professeur de sociologie à l'Université Hassan II Faculté des lettres et des sciences humaines de Mohammédia