Sous l'égide du ministère de l'Industrie, du commerce et des nouvelles technologies et du ministère de l'Emploi et de la formation professionnelle s'est tenue à Casablanca du 14 au 16 mars la dixième édition du salon Solutech (solutions et techniques pour la qualité) sous le thème : «Gestion des risques et pérennité de l'entreprise». Les thématiques débattues en dix conférences durant les trois jours nous interpellent et suscitent, en conséquence, quelques remarques sur l'état des normes et référentiels Qualité dans notre pays et dans le monde. Des questions sur la balkanisation et la pléthore du champ normatif, sur le lien normes et lois, sur les normes et l'éthique ou encore sur la certification et ses mobiles. De la balkanisation du champ normatif La balkanisation est le fait du contexte d'avant l'avènement de la famille ISO 9000 des normes en 1987. A l'époque, chaque client donneur d'ordre établissait son propre référentiel et auditait ses fournisseurs, selon ses propres critères, en conséquence. Pour caricaturer cette période d'avant la norme ISO 9000, on peut dire qu'un fournisseur qui a cinquante clients peut recevoir jusqu'à cinquante audits (autant d'audits qu'il y a de clients). Une situation qui n'est pas du tout confortable, puisque le fournisseur est soumis à chaque fois aux critères spécifiques à chaque donneur d'ordre. On a vite ressenti la nécessité d'une norme pour harmoniser les relations commerciales interentreprises et faciliter au moyen d'un langage commun les échanges entre pays et régions. Si le problème de la balkanisation est relativement levé (relativement, car demeure des normes spécifiques à certains pays : DS (Danoise Standard) pour Danemark, BS (British Standard) pour Grande Bretagne ou IFS (International Food Standard) France et Allemagne, pour ne citer que ces 3 exemples), se pose aujourd'hui celui la pléthore des normes. A côté de la norme ISO 9001(système de management de la qualité-exigences), on trouve les normes ISO 22000 sur la sécurité alimentaire, ISO 18001 sur la santé et sécurité au travail, ISO 14001 sur l'environnement, ISO 27001 sur la sécurité de l'information, ISO 26000 sur la responsabilité sociale, ISO 31000 sur le management du risque, ISO 50001 sur la sécurité énergétique, etc. La liste n'est pas exhaustive. Il existe actuellement quelques 30.000 normes dans le monde, 12.000 normes en France et 10.800 normes au Maroc ! La pléthore des normes, couplée à la complexité des procédures et à la surcharge documentaire, dissuade au lieu d'encourager à la certification. Il est temps de réfléchir sur un référentiel synthèse pour éviter la tracasserie pour tout prétendant à la certification. Dialectique normatif-législatif Faut-il caquer les nomes sur les lois et règlements en vigueur ou procéder par une démarche inverse ? Le caractère préventif des normes permet d'assimiler les lois, à la différence des lois qui ont un caractère obligatoire, donc contraignant. Autrement, les caractères volontaire, progressif et préventif des normes autorisent, une fois les mœurs et habitudes ancrés, de passer aux lois. On institutionnalise, en quelque sorte les usages. L'adoption d'une norme permet d'éviter de transgresser la loi. On assiste alors à une convergence ou transition douce vers le respect des lois et règlements. L'inverse n'est pas vrai, commencer par les lois (caractère sanction) risque de bloquer la dynamique d'amélioration continue à laquelle renvoie la Roue de Deming (Gourou américain de la Qualité totale ). Ainsi, les normes jouent un rôle pédagogique, puisque à long terme elles convergent vers les lois. Au Maroc, l'ONSSA (Office National de la Santé et Sécurité Alimentaire ) , par exemple, s'inscrit plutôt dans l'approche sanction des lois, il est temps de sensibiliser tous les intervenants dans la chaine alimentaire à l'adoption du dispositif de prévention des risques alimentaire, le fameux HACCP (Sigle anglophone signifiant Hasard Analysis Critical Control Points,, une étape vers un référentiel beaucoup plus élaboré l'ISO 22000. Le problème de la viande de cheval écoulé récemment, en France, sous l'étiquette viande de vache, a remis sur la place publique les questions de l'éthique en lien avec la normalisation. Il ne s'agit pas d'un problème de traçabilité. Les référentiels HACCP et l'ISO 22000 permettent de remonter la chaîne alimentaire et de détecter le maillon ou la zone à risque. Il s'agit plutôt, dans ce cas précis de la viande de cheval d'un problème de fraude, donc d'éthique, falsification des documents pour vendre le cheval sous le label vache ! Certifications au Maroc : un effectif encore dérisoire Jusqu'en décembre 2012, le nombre d'entreprises certifiées au Maroc (toutes normes confondues) est de 1067 (source ISO Survey, novembre 2012), un effectif très faible eu égard au nombre de PME, quelque 300 000 entreprises et compte tenu des certifications dans des pays à niveau de développement comparable. Nous sommes loin derrière l'Afrique du sud, l'Egypte (en dépit des problèmes d'instabilité qu'elle connait), ou la Turquie. Le chiffre 1067 sera contesté si on tient compte des suspensions et des mobiles de certification. En effet, des suspensions sont faites aux entreprises qui ne font pas d'effort de maintien de leur certification, sachant que le certificat de conformité n'est pas un acquis eternel. Après l'audit de certification, l'entreprise est soumise à des audits de suivi, chaque année, puis à un audit de renouvellement chaque 3 ans. ISO 9001 est une norme, volontaire et éminemment stratégique, son adoption doit être le résultat d'un choix délibéré si l'on veut aller au-delà de la certification pour évoluer vers le TQM (Total Quality Management). Beaucoup d'entreprises au Maroc l'adoptent sous contrainte et se privent ainsi du caractère stratégique d'amélioration continue que laisse entendre son chapitre 8 sur «Mesure, Analyse, Amélioration». C'est le cas des sous traitants dans l'automobile et le textile habillement, la certification sous pression les transformant en simples façonniers au service du donneur d'ordre. Une remarque enfin, toujours en marge du salon Solutech (édition 2013), c'est l'absence d'invitation d'un représentant de l'enseignement supérieur. Inutile de rappeler que l'avenir appartient aux pays qui valorisent la recherche-développement, donc l'université. L'exemple nous vient, entre autres, des pays du sud-est asiatique qui ont fait de l'éducation et donc de la recherche-développement le fer de lance dans la quête permanente de la Qualité et du développement en général. Un partenariat université-monde des affaires s'impose. Que peut apporter l'enseignement supérieur dans ce domaine ? -Fournir l'entreprise et les établissements publics en métiers dédiés à la Qualité (directeur Qualité, responsable Qualité, auditeur Qualité,...), - Formation au profit du personnel des entreprises, des collectivités locales et autres établissements publics au management de la Qualité et des normes ISO, - Encourager les cursus professionnels sur les normes et référentiels Qualité par la mise en place de licences et Masters en Management de la Qualité. - Représenter notre pays au niveau mondial dans les réunions relatives à l'élaboration et à la révision des normes... Il convient de concrétiser les partenariats Université-entreprises par des conventions de stage université, sections régionales de la CGEM (Sigle anglophone signifiant Hasard Analysis Critical Control Points. ARMPC (Analyse des Risques Contrôle des Points Critiques) pour la traduction française.) pour faciliter l'insertion des lauréats des facultés et écoles de commerce dans le monde des affaires, associer Université, délégations régionales de la CGEM (Confédération Générale des Entreprises du Maroc ) et CCIS (Chambres de Commerce de l'Industrie et des Services) pour propager la culture Qualité dans les régions aux moyens de manifestations (colloques, tables rondes, séminaires et conférences) autour des normes et de la Qualité en général. * Enseignant chercheur, Université Cadi Ayyad -Marrakech Certifié IRCA (Registre international des auditeurs certifiés), délivré par AFNOR international, avril 2011.