Le temps d'un été, la petite ville de Tahla, province de Taza, vibre au rythme de l'art d'Ahidous. Bien évidemment, cela ne peut être un festival d'une aussi longue durée. L'occasion n'est autre que ces fêtes de mariage organisées chaque été. Dès lors, ce n'est plus simplement les invités qui en profitent, mais tout un public passionné des ondoiements et des ondulations provoqués par la file de joueurs de cet art séculaire. Chaque soir, les gens peuvent facilement repérer le lieu du mariage/fête, grâce à ces voix masculines très fines levées au ciel, chantant un Izli, ode très court réitéré en chœur par les membres de la troupe, tout au long de la partie. Et les auto-invitations se déchaînèrent. La fête, familiale en principe, se transforme au fil des heures en un petit festival, rassemblant des centaines de gens, selon la réputation des troupes en présence et la qualité du jeu. Requérant un espace large, les organisateurs des noces n'ont de choix qu'un terrain dégagé, ouvert par la force des choses au grand public. L'habitude veut que deux troupes de deux différentes tribus s'affrontent et se donnent la réplique. Le nombre des « Ilaâben » (joueurs) n'est pas fixe, chaque troupe dispose d'une trentaine à une cinquantaine de membres, leur disponibilité n'est pas toujours acquise. Tous habillés d'un même costume ou presque : Djellabah de couleur blanche, turban blanc ou jaune et un fil de laine rouge, ornementé en « mouzoun » brillant. « Autrefois, le costume s'inscrivait dans un rituel quasi religieux, respectant des conditions très sévères, dont la propreté et la mesure, les jeunes d'aujourd'hui commencent à violer certaines règles, même pendant le jeu », explique non sans regret Mhamed Essaid, Cheikh qui a vécu une partie de ces cinquante ans avec des anciens chyoukhs très rigoureux du reste. Il faut surtout distinguer trois types de chyoukhs : le parolier, celui régissant les ondoiements de la danse et enfin celui de la percussion (Bendir), assurant le rythme. Les mieux suivis parmi les troupes sont celles appartenant à la tribu Bni Zahna, près d'Ahermoumou, et de Bni Bouzart, relevant de Fendel, grâce à leur rigueur, leur discipline et le respect idéal des règles du jeu. Ce sont des professionnels qui sont payés pour leurs prestations. La zone de Fendel semble même constituer une école en la matière, avec trois troupes de différentes générations. Les séniors représentant les tribus Aït Warayn dans différentes manifestations, notamment au festival des arts populaires de Marrakech, les Iâarrimens (juniors) semant plutôt la joie grâce aux innovations apportées à cet art, et enfin les « Ifrakh » (les poussins) qui assurent la relève. Pourtant, au fil des ans, la présence de l'Ahidous dans les fêtes commence vraiment à régresser. Les nouvelles conditions de vie dans les zones de montagne où vivent les tribus d'Aït Warayn ont fait accélérer la disparition de plusieurs troupes. Les jeunes ne s'adonnant plus à ce type d'expression artistique et culturelle, avec le même sérieux, mais aussi parce que plusieurs familles préfèrent aussi des orchestres modernes. Le coût économique et le goût artistique fluctuant sont déterminants dans le choix des uns et des autres. Tout compte dit, l'Ahidous reste un art présent dans les grandes fêtes de mariage de la région. Comment le préserver hors de la saison d'été, c'est là la question primordiale qui hante les acteurs associatifs locaux. « La préservation de cette expression artistique requiert une prise de conscience de la part des acteurs associatifs, d'où la nécessité de la création de jeunes troupes par les associations, afin de faire inculquer les règles et les valeurs de l'art d'Ahidous au génération futures », explique Abdellah Harhar universitaire et chercheur anthropologique. L'enjeu est de taille, la balle est dans le camp des initiatives citoyennes. Le développement passe également par la voie culturelle.