Il n'est plus besoin aujourd'hui de démontrer pour l'amazighe que nous sommes en présence d'une langue nationale, officielle et qu'il est temps de l'aménager et de la considérer non plus comme une langue minorée mais une composante consubstantielle du paysage linguistique marocain. Il est vrai que l'amazighe est constitué de plusieurs variantes regroupées en trois essentielles : Tamazight du Nord (Rif et oriental), Tamazight du Centre (Moyen Atlas, Haut atlas oriental et Sud Est) et Tamazight du sud (Haut Atlas Occidental et Anti-Atlas). Nos chercheurs, dont ceux de l'IRCAM essentiellement, ont démontré à coup d'investigations et de recherches qu'il s'agit d'une même langue avec des variantes certes mais dont la structure est la même à quelques différences près. Voici, résumées, quelques-unes de leurs réflexions pour n'en citer que celles-là : Ahmed Boukous, recteur de l'IRCAM et sociolinguiste, dans un article publié en 2004, affirme que l'amazighe est une “langue parlée par des communautés importantes mais éparpillées dans un vaste espace, il (l'amazighe) se présente sous forme de parlers et de dialectes unis par une charpente grammaticale et un lexique fondamental communs" ; Pour Mouloud Taïfi, universitaire à Fès : “... On peut avancer, sans se faire huer, que la langue berbère est la même malgré ces usages variés et différents. C'est que la mêmeté ne réside pas dans la conformité...Ce qui assure plutôt l'identité dans le temps c'est l'ipséité : la permanence du fondement, la cohésion dans le fonctionnement qui se perpétuent malgré les avatars qui viendraient affecter quelques aspects de la mêmeté. L'ipséité d'une langue naturelle, c'est sa grammaire ... C'est cette grammaire qu'il faudra, pour le berbère, transposer dans l'écrit, non pas seulement dans le domaine didactique de l'enseignement, mais dans tous les actes d'écriture." ; Qaunt à Mouha Ennaji, il considère que “la standardisation de l'amazighe est un long processus qui demande un travail de recherche ardu....Avec l'institutionnalisation de l'amazighe et son passage à l'écrit, le statut de la langue amazighe a changé d'une langue vernaculaire à une langue...d'enseignement" ; Dans une communication, lors d'un colloque sur « Les langues maternelles du Maroc, El Mehdi Iazzi, Universitaire à Agadir, précise : “... nous examinerons...la conception des dialectologues amazighisants de l'unité et de la diversité de l'amazighe au Maroc en particulier et la nature des variations jugées importante dans la littérature, qui marquent l'amazighe marocain sur les plans phonique et lexical (la morphosyntaxe est reconnue la même partout) et qui peuvent avoir un impact sur la configuration de la norme de l'amazighe marocain unifié" ; Fatima Sadiqi, Universitaire à Fès, quant à elle, pense que “la dialectalisation de la langue (amazighe) s'est effectuée globalement dans un sens convergent et non divergent. Il faut dire que c'est un cas atypique dans le domaine de l'évolution des langues, à savoir une langue vieille de plusieurs milliers d'années, qui n'a jamais fonctionné comme la langue officielle d'un état central qui l'aurait doté d'un statut juridique valorisant et aurait, le cas échéant, fixé sa norme grammaticale et sa graphie, une langue qui a gardé ses structures grammaticales fondamentales malgré toutes les agressions qu'elle a subies au contact d'autres langues beaucoup plus puissantes qu'elle comme le punique et le latin dans le passé et aujourd'hui l'arabe, le français, l'anglais et l'espagnol." Les différences dialectales constituent en fait – d'après les mêmes chercheurs - l'un des obstacles à la standardisation de l'amazighe mais non le plus insurmontable. Ces mêmes chercheurs, dont notamment les sociolinguistes, s'accordent à admettre que ce n'est qu'une question de temps pour que l'obstacle de la variation soit levé. Cela n'a-t-il pas été le cas, à quelques proportions près, de beaucoup de langues du monde aujourd'hui aménagées et reconnues, tel l'arabe, l'hébreu, le Catalan...? Les écueils les moins faciles à lever, semble-t-il, sont plutôt d'ordre politique et institutionnel. Ils le deviendront de moins en moins au Maroc, peut-on espérer, du fait de la récente constitutionnalisation de l'amazighe et du fait - non moins important- d'une prise de conscience qui commence à prendre effet dans les esprits des Marocains, y compris les natifs amazighes qui auparavant avaient un complexe d'infériorité à l'égard de l'arabe, seule langue officielle à l'époque et langue du Coran, donc sacrée et privilégiée. Le mérite que l'on peut accorder à la langue amazighe est qu'elle a pu résister à de longues persécutions durant toute l'histoire du pays grâce notamment à sa culture et au maintien de son écriture, conservée par les Touarègues depuis des milliers d'années (Chafik 2000). Ce qui va contribuer, entre autres, à son aménagement et à sa standardisation. Mais une politique linguistique, pour être efficace, ne doit pas s'arrêter au stade des déclarations ; elle doit passer à la concrétisation des intentions. Pour ce faire, il faut qu'elle mette en place un dispositif et des dispositions ; on parle alors de planification, ou d'aménagement ou de normalisation linguistiques. De ce point de vue, la politique marocaine, en matière d'aménagement linguistique de l'amazighe, peut alors concerner : La langue dans sa structure : L'intervention sera de type normatif (déterminer une forme standard, des fonctionnements grammaticaux, lexicaux, phonétiques... hétérogènes, sachant que la question de la graphie est tranchée. Il conviendra ensuite de diffuser officiellement les nouvelles normes ainsi fixées auprès des usagers, à commencer évidemment par les enseignants et les étudiants chercheurs. Ce travail a été initié par l'Ircam depuis déjà une dizaine d'années et la recherche continue. Les écueils d'ordre scientifique semblent ne plus préoccuper. Reste une volonté politique manifeste ; c'est en fait ce que laisse promettre la récente officialisation de l'amazighe. Toutefois, cette officialisation est tributaire de lois organiques dont la promulgation peut retarder le processus plus ou moins longtemps. Les fonctionnements socioculturels, son statut, son territoire, face aux fonctionnements socioculturels, au(x) statut(s), au(x) territoire(s) des autres langue(s) également en usage dans notre communauté plurilingue. Ce volet, en corrélation avec le précédent, pourrait, si les défenseurs (partis politique et société civile) de cette langue et cette culture n'interviennent pas rapidement et efficacement, constituer une grande entrave à l'aménagement de l'amazighe du fait que les détracteurs de cette entreprise font encore légion.