Dans le cadre du cinquantenaire du tremblement qui a frappé la ville d'Agadir le 29 février 1960, Agadirnet.com publie exclusivement une séries d'articles, d'interview, photos et vidéos inédites en collaboration avec le magazine Agadir O'ffla. Parler de ce qu'était Agadir d'avant le tremblement de terre du 29 février 1960, c'est comme parler de ce qu'était la cité mythique d'Atlantide avant le déluge qui l'a engloutie. Les survivants de ce séisme vivent beaucoup plus dans la mémoire du passé de leur ville natale que dans les temps présents du nouvel Agadir ! Quand les anciens gadiris se rencontrent, ils évoquent souvent avec nostalgie la vie qu'ils avaient vécue dans cette ville qui fut autrefois la Perle du Souss, le bijou que la France avait voulu transformer en paradis balnéaire, plus beau que la Côte d'Azur méditerranéenne… mais, le destin en a décidé autrement ! Agadir, la porte du désert, le pied du haut et de l'anti-Atlas, cette fenêtre vers la montagne et vers la mer, était une ville pas comme les autres, et son histoire est incomparable avec celle des autres villes côtières du Maroc. Par son climat clément et par sa culture plusieurs fois millénaire, cette ville au caractère doux et hospitalier, par sa position stratégique, géographique et économique, la France voulait en faire un modèle touristique exemplaire du prestige de la France d'outre-mer. La mémoire, le rétroviseur miroitant les souvenirs du passé, cette rétrospective du vécu d'une vie dans un monde qui n'existe plus que dans le cœur du témoin, ressuscite des moments et des endroits qui ont marqué le survivant du séisme d'Agadir. Combien en restent-ils ? Et où sont-ils ? Et que sont-ils devenus ? Pour mieux raconter les légendes fascinantes d'Agadir d'autrefois. Cette mémoire qui commence par le lieu de naissance de chacun, dans l'une des rues des quartiers d'Agadir, entre autre Agadir ouflla, de Founti, de Talborjt, de Yehchech et de la Ville Nouvelle (secteur européen). Le rappel de certains événements qui ont marqué nos premiers souvenirs de notre enfance, à commencer par nos premiers pas dans une des écoles coraniques de Talborjt, notamment Zaouite Tijani et Zaouite Bennasser ; et surtout le premier jour d'inscription dans l'école musulmane (connue sous l'école de Monsieur Simon, établissement scolaire pour garçons. Il y avait aussi une école pour filles et l'école exclusivement pour les enfants des colons.Evidemment, il y avait aussi une école pour les Israélites et le fameux mellah dont l'histoire a imprégné la communauté juive d'Agadir. Il y avait l'hôpital Lyauté, et le dispensaire de santé qui nous a profondément touchés par la gentillesse des sœurs blanches, chaque fois qu'on a des petits bobos c'était là que se rendaient les indigènes pour se faire soigner et qui était situé près du grand Souk Al Had. La quasi-totalité des enfants nés dans l‘ancien Agadir entre 1930 et 1950 se souviennent de l'école de Monsieur Simon, et surtout de Madame Travers, la charismatique institutrice et une grande joueuse de Tennis qui nous a appris à conjuguer le verbe être, à lire la « Chèvre de Monsieur Seguin » d'Alphonse Daudet ainsi que les fables de la Fontaine et bien d'autres histoires de la littérature française et berbère. Dans cette école, l'arabe est enseigné tardivement, seulement vers la fin du protectorat. Et puis il y a les longues promenades du soir le long de la rue de la Mosquée, l'axe d'Agadir, là, dès le début de la soirée, les gadiris vêtus de leurs beaux habits aux cheveux teintés de brillantine, main dans la main, faisaient d'interminables cent pas de bout en bout de cette rue qui a considérablement marqué la jeunesse de cette époque-là, et surtout par le cinéma Rex qui a fait émanciper, à travers les projections des films, cette jeunesse de l'état primitif à l'état surréel. Le septième art est sans équivoque l'art qui a profondément révolutionné le mode de vie la jeunesse d'Agadir d'autrefois. Le théâtre et les concerts populaires se tenaient la plupart du temps dans le Souk. Au soir, chacun rentre chez lui, et le vendredi, les musulmans se rendent à la grande mosquée, le samedi, les israélites à la grande synagogue et le dimanche, les chrétiens à la grande église.Vivement dimanche et les jours fériés, surtout les trois mois de vacances, les moments les plus attendus par tous pour le meilleur des plaisirs à la plage, à Aftasse où se trouvait la jetée des Portugais, (malheureusement ce monument historique d'Agadir est délibérément enterré par le projet de la Marina, et une autre partie de la plage où était érigée « La Réserve », un édifice en forme de soucoupe volante aux trois piliers, posée sur le sable à la limite des petites vagues. La « Réserve" était un restaurant où se tenait, parfois des concerts de musique européenne, un grand nombre de vedettes de la chanson, principalement françaises, y a fait chanter et danser les belles dames aux belles robes et les beaux messieurs aux beaux costumes de dimanche sous le rythme du hit-parade de l'époque (les années 50) : Si tu vas à Rio, n'oublie pas de me monter là-haut !Et puis, il y avait le nautile club d'Agadir, le fleuron des activités sportives de la ville, il y avait plusieurs terrains de tennis, une piscine semi-olympique, terrain de basket, terrain de volley-ball, une salle polyvalente et à côté un casino, terrain d'équitation et le fameux terrain municipal, l'actuel terrain Bijaouane. Pendant que les activités d'animation se passaient dans un secteur de la ville, entre autres les expositions d'art contemporain dont des œuvres de Picasso et de Matisse dans un grand hôtel international de la ville nouvelle, ville européenne ; la course internationale automobile F1 se déroulait sur le circuit allant du Boulevard de la République, l'actuelle Avenue Mohammed V, passant par le centre de Talborjt et devant l'actuel camping pour rejoindre le point de départ, le Boulevard. Ah ! La nostalgique course automobile d'Agadir et la course cycliste. Dans l'ancien Agadir, il y avait à chaque week-end des compétitions sportives de tous genres, aussi bien à la mer que sur terre : la natation était la principale discipline des jeunes gadiris, suivie du football. Mais, la course des quatre roues et des deux roues est inoubliable dans la mémoire des anciens gadiris. L'automobile, ce nouvel élément de locomotion qui a rapidement remplacé le bourricot comme moyen de transport pour aller plus vite que l'ombre de soi, a révolutionné et bousculé une culture dépendante d'elle-même antérieurement avec l'avenue de la France, apportant avec elle la technologie automobile et industrielle qu'elle a plantée pour accélérer l'évolution et mettre sur la route du développement la « Perle du Souss» Agadir. «Agadir de la France » a donc transmuté la société archaïque « marocaine » en une société démocratique, totalement à l'inverse de la société hiérarchique, jusque-là dominante. Depuis lors, Agadir devint un champ de construction touristique, économique et politique, un paradis unique en son genre.«Agadir de la France » a inculqué le sens de la liberté de penser, de la tolérance et de l'ouverture aux autres formes de pensée multidimensionnelles.Et puis vint l'indépendance, mais quelle indépendance ! L'indépendance de qui ? Ce mot, c'est quoi au juste pour un enfant dépendant de ses parents, dépendant de son école, dépendant de la dictature de la religion, dépendant de l'existence…Le 18 novembre 1956, Agadir que la France a construit, est devenu marocain. A 23h45, le 29 février 1960, ce qui restait de cet Agadir-là, ce paradis-là, est rayé de la carte en 15 secondes, et il demeurera toujours dans la mémoire et dans le cœur de ceux qui y ont vu le jour, et de ceux qui y ont vécu. Le mensuel Agadir O'ffla est disponible dans les kiosques et libraires d'Agadir