Certains patients restent en bonne santé, tout en étant infectés par le virus depuis plus de dix ans. Des chercheurs français viennent de comprendre ce phénomène qui ouvre la voie à de nouvelles pistes thérapeutiques. DES CHERCHEURS français viennent d'expliquer comment un tout petit nombre de patients (moins de 1 % des séropositifs) réussissent à bloquer naturellement, sans le moindre traitement, la multiplication du virus dans leur sang et sont donc protégés contre ses effets pathogènes. Et ce pendant plus de dix ans grâce à une particularité de leurs lymphocytes T CD8, des cellules capables de reconnaître très spécifiquement les cellules infectées et de les tuer. Cette nouvelle piste de recherche pourrait un jour déboucher sur la mise au point de vaccins prometteurs contre le sida ou sur de nouveaux traitements à base d'immunothérapie. Cette découverte publiée au-jourd'hui dans les PNAS (les comptes rendus de l'Académie des sciences américaine) est le fruit d'une collaboration entre des chercheurs de l'Institut Pasteur, sous la direction de Françoise Barré-Sinoussi (la première découvreuse du virus du sida en 1983) et d'Alain Venet de l'Inserm avec le service de maladies infectieuses de l'hôpital Bicêtre, sous la direction du Pr Jean-François Delfraissy. On connaissait déjà les « progresseurs lents » (2 à 5 % des pa-tients) qui restent longtemps in-demnes du sida et de son cortège de maladies opportunistes grâce à des « alpha-défensines » isolées dans certains lymphocytes CD8 (nos éditions du 28 septembre 2002). Mais cette fois, les chercheurs se sont penchés sur l'immunité encore plus efficace de quelques très rares individus privilégiés baptisés « contrôleurs de virus ». L'étude a porté sur onze d'entre eux, certains ayant été diagnostiqués dès 1983. « Nous avons été attirés par le fait que tout en étant infectés par le virus, ils vont toujours parfaitement bien et ce sans aucun traitement », explique Jean-François Delfraissy, également directeur de l'ANRS, l'Agence nationale de recherche sur le sida. Leur charge virale dans le sang est quasi indétectable. » Et leur « réservoir de virus » dans les lymphocytes est également très bas (contrairement aux patients sous traitement qui conservent malgré tout des réservoirs élevés). Pourquoi ne présentent-ils aucun signe d'infection par le virus du sida, si meurtrier par ailleurs ? Les chercheurs ont alors vérifié plusieurs éléments qui auraient pu expliquer une telle résistance. Par exemple, qu'ils prenaient, sans le leur dire, un traitement ; que leurs lymphocytes CD4, les cellules cibles du VIH étaient bien sensibles au virus et qu'il n'y avait donc aucune résistance intrinsèque à l'infection ; que ces individus étaient bien infectés par des virus réplicatifs. «Cela pourrait servir de modèle pour un vaccin» « Ils en ont conclu que le problème n'était pas virologique mais qu'il fallait s'intéresser à la réponse im-munitaire différente et particulièrement puissante de ces»contrôleurs de virus* », ajoute le Pr Delfraissy. Une étude ANRS coordonnée par le Dr Olivier Lambotte a alors été mise en place afin d'étudier les raisons d'un tel phénomène. Axée sur les lymphocytes CD8, car cette population de cellules du système immunitaire reste préservée et fonctionnelle chez ces patients à part, contrairement aux CD 8 de ceux qui tombent malades. Les chercheurs, et en particulier Asier Saez-Cirion et Gianfranco Pancino de l'Institut Pasteur, ont montré que les lymphocytes T CD8 de ces « contrôleurs de virus », mis en contact in vitro avec leurs propres lymphocytes CD4 sont capables de les tuer. Et ce de façon puissante et rapide. Sans pouvoir pour autant en décrypter les mécanismes intimes. En revanche, les scientifiques ont réussi à mettre au point des marqueurs pour bien repérer ces exceptionnels « tueurs ». Avec au final l'objectif de tenter d'obtenir par des méthodes de stimulation du système immunitaire des lymphocytes T CD 8 ayant le même profil. « Cela pourrait servir de modèle pour un vaccin capable d'éliminer le virus du sida », anticipe Jean-François Delfraissy qui tient à insister sur le fait que ces patients « même s'ils n'ont pas développé la maladie sida restent contagieux. » Ils peuvent infecter les autres et doivent donc adopter des comportements de prévention (préservatifs). Dans une seconde phase, les scientifiques vont rechercher des marqueurs génétiques au niveau du génome de ces patients, susceptibles d'avoir les moyens de les repérer plus vite. Car même si ces privilégiés sont très rares, ils représentent un modèle extrême de résistance au sida maladie.