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Entretien avec Jamaâ Baida, directeur des Archives du Maroc, établissement créé dans le cadre des recommandations de l'IER : « Malgré les pertes et les détériorations, le patrimoine archivistique marocain demeure riche »
« Dans beaucoup d'administrations publiques, les archives courantes et intermédiaires sont encore gérées sans calendriers de gestion, tandis que les archives définitives sont jetées dans des caves humides ... » Dans l'entretien suivant, le directeur des Archives du Maroc, M. Jamaâ Baida, professeur d'Histoire contemporaine, a bien voulu répondre à nos questions au sujet d'une institution vieille à peine d'une année et demie, créée suivant les recommandations de l'Instance Equité et Réconciliation (IER) au même titre que le projet des musées du Rif, des Oasis et du Sahara et aujourd'hui de la Maison de l'Histoire du Maroc : -Quelles sont succinctement les différentes étapes à l'origine des Archives du Maroc ? -L'origine de l'établissement « Archives du Maroc » remonte aux recommandations de l'Instance Equité et Réconciliation (IER). Lorsque celle-ci a rendu son rapport à Sa Majesté le Roi, elle n'a pas omis d'y souligner avec insistance la carence dont souffre le Maroc indépendant en matière de gestion des archives et de recommander vivement la promulgation d'une loi des archives qui serait le texte fondateur d'une nouvelle institution qui prendrait en charge ce domaine qui constitue l'épine dorsale d'un Etat moderne et démocratique. C'est ainsi que la loi 69/99 a vu le jour le 30 novembre 2007 et qu'un Directeur a été nommé le 30 mars 2011 pour mettre en place l'établissement « Archives du Maroc ». -Quel état des lieux peut-on faire aujourd'hui des Archives du Maroc en tant que patrimoine chiffré, son état de conservation et mesure et actions prises pour la restauration ? -Depuis l'indépendance du Maroc en 1956, la gestion des archives à l'échelle nationale n'a pas bénéficié de l'intérêt qu'elle mérite. Par conséquent, les administrations publiques, tant au niveau central qu'au niveau régional, ont fait un peu n'importe quoi, au gré des budgets, des locaux disponibles ou des humeurs de responsables. Il a résulté de cette situation une anarchie totale très préjudiciable à l'administration elle-même et par conséquent aux citoyens pour lesquels les archives constituent les preuves de la transparence, sans parler du volet non moins important relatif à la valeur des archives comme identité et mémoire d'une nation. Dans beaucoup d'administrations publiques, les archives courantes et intermédiaires sont encore gérées sans calendriers de gestion, tandis que les archives définitives sont jetées dans des caves humides ...lorsqu'elles ne subissent pas tout simplement une élimination sauvage. Des exceptions existent heureusement, mais elles restent des exceptions ! Une étude sur l'état des lieux des archives au Maroc sera lancée incessamment et durera 12 mois ; ce sera un premier diagnostic qui nous permettra d'aller de l'avant. -Quel bilan du travail d'une année et demie sur le plan de l'organisation, staff, etc. ? -La mise en place d'une institution à partir du néant n'est pas du tout une chose aisée. Le lendemain de mon investiture, je n'avais même pas un bureau pour m'asseoir et pas un sous n'était prévu pour Archives du Maroc dans le budget de cette année. Il a fallu batailler sur tous les fronts, y compris celui d'expliquer à mes interlocuteurs-décideurs à quoi peut bien servir un établissement dédié aux archives. Mais avec beaucoup de patience et de persévérance, on arrive peu à peu à convaincre. A la fin de l'année 2012, Archives du Maroc disposera d'un staff de 24 personnes. Mais à titre comparatif, je signale que les Archives Nationales Tunisiennes comptent quelque 130 personnes. -En quoi consiste le travail de réaménagement actuel (fiche technique des travaux de réaménagement) ? -Nous avons pu entamer depuis le 26 juin dernier des travaux d'aménagement de locaux dans une aile de l'ancienne Bibliothèque Générale à Rabat. Ces travaux sont pris en charge par l'Union Européenne pour un coût de trois millions de dirhams. Ils nous permettront, après huit mois, de multiplier la capacité actuelle de stockage par 4 ou 5 et nous aurons également un atelier de traitement, une salle polyvalente, une salle de consultation ( pour 60 personnes) et une salle d'exposition. Mais tout cela ne servira qu'à mettre la machine sur les rails, car pour un vrai établissement des archives (d'ailleurs consacré comme établissement public stratégique), il va falloir que l'Etat marocain fasse un effort conséquent, y compris un investissement foncier digne des grands chantiers que connaît le Maroc actuellement. L'Union Européenne nous permettra également d'acquérir des équipements modernes pour nos magasins et nos bureaux car il existe des normes internationales, hélas coûteuses, pour les centres d'archives. -Est-ce qu'il est possible de décrire grosso modo les différentes catégories d'archives qui constituent le fonds des Archives du Maroc aujourd'hui et aussi selon les époques ? -L'établissement Archives du Maroc dispose aujourd'hui d'environ deux kilomètres linéaires d'archives. La grande majorité des fonds est héritée de la période coloniale et concerne toutes les directions du régime du Protectorat. Il faudrait signaler ici qu'une autre partie relative à cette époque se trouve aujourd'hui en France, soit à Vincennes, à la Courneuve ou à Nantes. L'Etat marocain devrait d'ailleurs trouver avec la partie française des modalités d'exploitation de cet héritage commun. -Comment fonctionne ou devrait fonctionner à l'avenir Archives du Maroc dans les faits en tant qu'établissement de service public ? Dès que les travaux d'aménagement des locaux seront achevés, l'établissement sera ouvert au public. Les nationaux comme les étrangers seront les bienvenus. Le degré d'ouverture des archives au public est un critère qui sert aujourd'hui à évaluer l'engagement d'un pays dans la voie de la démocratie et de la transparence. -Les archives, cela évoque souvent la poussière. Comment expliquer à un simple lecteur la fonction des archives et lever cette dépréciation tenace ? -Vous avez raison ! Les archives sont souvent assimilées à la poussière, à la cave, à l'humidité...voire à la punition d'un fonctionnaire ! Quand on envoie ce dernier aux archives, il est rare que cela soit équivalent à une promotion. Mais il est temps que cette conception erronée cesse. Un grand effort de sensibilisation doit être entrepris auprès des administrations comme auprès du grand public. Nous avons déjà entrepris quelques initiatives dans ce domaine, mais il reste beaucoup à faire. Le 9 juin dernier, nous avons pour la première fois au Maroc célébré la Journée Internationale des Archives. Nous avons également demandé au Chef du Gouvernement de décréter la journée du 30 novembre ( date anniversaire de la promulgation de la première loi des archives sous le Maroc indépendant) Journée Nationale des Archives. -Quelles perspectives pour enrichir le patrimoine de documents ? -Malgré les pertes et les détériorations, lepatrimoine archivistique marocain demeure riche. Il peut être sauvegardé et enrichi par des apports divers (locaux et étrangers). Mais pour concrétiser cette stratégie, il faut des moyens qu'Archives du Maroc ne cesse de réclamer. Il faut également valoriser les archivistes car la valorisation des archives passe avant tout par celle de leurs anges gardiens.