CJUE : Des eurodéputés s'indignent d'une décision qui «porte atteinte aux intérêts économiques européens»    CJUE : La Belgique réitère son attachement au partenariat stratégique entre l'UE et le Maroc    Lutte contre les bidonvilles : Remise des clés d'appartements aux premiers bénéficiaires à Casablanca    Commune de Tanger : Un budget de 1,16 milliards de DH arrêté pour 2025    Décision de la CJUE: Le partenariat stratégique UE-Maroc est dans « notre intérêt commun » (Ministère hongrois des AE)    Revue de presse de ce samedi 5 octobre 2024    La météo de ce samedi 5 octobre    Tétouan: Saisie et destruction de 1.470 kg de produits alimentaires impropres à la consommation    Retail Holding accueille de nouveaux actionnaires à son tour de table    Liban : les Casques bleus de l'ONU maintiennent le cap malgré l'escalade des hostilités    Liban : les secouristes du Hezbollah disent que 11 de leurs membres ont été tués dans le sud    Le ministre espagnol des Affaires étrangères réagit rapidement aux décisions de la Cour de justice de l'Union européenne et renouvelle le soutien de l'Espagne à la souveraineté du Maroc sur son Sahara    Un député au Parlement européen : Tout le monde a compris que le Sahara occidental est marocain… sauf la Cour de justice de l'Union européenne    Fès-Meknès: Mise en service de 30 centres modernes de santé    Info en images. Cous Cous Fest : Le Maroc remporte le Championnat du monde de couscous en Sicile    Covid-19: un seul nouveau cas ces 7 derniers jours    Pont culturel : Convention entre le Maroc et les EAU    Madrid réaffirme son engagement dans l'«association stratégique» avec le Maroc : «Notre engagement envers Rabat est ferme et ne sera pas altéré»    Maroc-OTAN: Le Souverain félicite Mark Rutte suite à sa nomination au poste de Secrétaire général    Les alliés de l'Iran ne reculeront pas face à Israël, avertit Khamenei en arabe    Quand Biden fait rebondir les prix du pétrole    Arrêt de la Cour de Justice de l'UE : le Maroc se dit non-concerné par une décision truffée "d'errements juridiques"    Salon du Cheval. Tbourida : Un canon d'énergie et de tradition    Botola D1. J5 / SCCM-JSS: Soualem, va-t-il déposer des réserves comme l'a fait l'équipe du président de la LNFP !?    Europa League. J2 : El Kaâbi auteur d'un doublé, En-Nesyri inoffensif ! (Vidéo)    Ahmed Lahlimi critique le refus des Algériens établis au Maroc de se faire recenser    Climat des affaires: la Banque mondiale met en avant les points forts du Maroc    La Recherche Scientifique : Etat des Lieux au Maroc et à l'Etranger, avec un Focus sur les Investissements    La Bourse de Casablanca débute en bonne mine    L'approche du double questionnaire a permis de réduire le coût du RGPH de 453 millions de dirhams    Akhannouch représente SM le Roi au XIXe Sommet de la Francophonie    L'Institut français dévoile sa nouvelle programmation culturelle    Londres. Des artistes marocains de renom à la Foire d'Art Contemporain Africain 1-54    Mehdi Bensaïd prend part à la Conférence ministérielle préparatoire au sommet de la francophonie    Une génération sans tabac pourrait éviter plus d'un million de décès dus au cancer    Le nombre de cas de Mpox en Afrique a atteint 34.297 avec 866 décès depuis début 2024    Les prévisions météo du vendredi 4 octobre    Foot féminin: le Mondial U17 Maroc-2025 aura lieu du 17 octobre au 8 novembre 2025    Eliminatoires CAN 2025. Walid Regragui dévoile sa liste    Foot: des règles de la Fifa encadrant les transferts de joueurs jugées "contraires au droit" de l'UE    Le 1er Rabii II de l'an 1446 de l'Hégire correspond au samedi 05 octobre    Culture. Lomé abrite le Salon du Livre Jeunesse    Village de la Francophonie à Paris : le Maroc "très bien représenté" pour faire connaître sa culture    « Estonie et ses visages » pour promouvoir le Maroc en Estonie    Mondial de Futsal: L'Argentine bat la France et file en finale    Prix du Maroc du Livre 2024: Les candidatures sont ouvertes    Le gouvernement surveille de près la situation des Marocains au Liban en pleine escalade militaire    L'Arabie Saoudite craint une baisse du prix baril à 50 dollars    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



Entretien avec Abderrahim Lâtaoui, auteur du lexique des noms de poissons de Safi
Aux origines du parler des marins safiots
Publié dans L'opinion le 16 - 06 - 2012

PROFESSEUR de langue et littérature russe à l'Université Mohammed V (Rabat), Abderrahim Lataoui est natif de Safi, quartier Rbat, du nom du Ribat du Cheikh Abou Mohammed Saleh. Il est auteur d'essais dont «L'orientalisme russe, introduction à l'histoire des études arabo-islamiques en Russie» (2002) et de traductions en arabe d'auteurs russes dont Pouchkine. Son dernier livre paru en arabe, axé sur les relations entre le Maroc et la Russie intitulé «Le Maroc et la Russie, histoire des relations et écrits autour du Maroc» vient d'être présenté au Théâtre Mohammed V à Rabat.
Son travail sur l'origine des noms de poissons à Safi et sa région intitulé «Ichtyonymie marocaine, étude historico-linguistique des noms des poissons marins au Maroc» (Uni¬versité Mohammed V-Agdal Rabat 1999) devait être suivi de la publication en arabe d'un «lexique multilingue des noms de poissons marins au Maroc». Ces travaux offrent un aperçu original d'une histoire de brassage culturel arabo-amazigh sur le littoral atlantique marocain, en particulier dans le terri¬toire de Abda, ainsi que les filiations linguistiques profondes avec le pourtour méditerranéen. Lataoui montre une zone à prédominance amazighe s'étendant de la Casbah Ayyir, située à quelques kilomètre au sud de Oualidia, jusqu'à la région du Souss.
Retour sur l'histoire de reconstitution d'un lexique de faune marine qui se veut un élément essentiel de l'identité de toute une région marquée par les échanges tout au long des siècles sur le littoral atlantique. Entretien :
L'Opinion: Comment cet intérêt pour les noms de poisson est né chez vous?
Abderrahim Lataoui: Depuis que nous avions ouverts les yeux, mes copains et moi, nous allions au port de notre ville Safi, nous assistions inlassablement au débarquement de poisson et admirions le travail des marins pêcheurs et les bateaux de pêche. Nous vivions la plupart du temps au milieu de marins pêcheurs. J'ai l'impression que rarement dans le passé la vie des enfants de Safi déviait de cet itinéraire. Même les gens de la campagne venaient travailler au port. On avait l'habitude de fredonner une espèce de refrain d'une chanson: «S'il n'y a pas lkoumira (c'est-à-dire le travail de la terre et le blé, donc le pain) il y a la sardine !» (rires). Dès ce moment-là, il y avait des noms mystérieux prononcés, les noms de poissons.
L'Opinion: Comment est intervenue
la phase recherches ?
Abderrahim Lataoui: En vérité j'ai fait mes études en URSS fin des années soixante. J'ai étudié à la Faculté de philolo¬gie à Leningrad. Un enseignant russe qui dirigeait ma thèse de master et qui a été mon professeur pendant plusieurs années, m'a écrit après mon retour au Maroc m'annonçant que l'Académie des sciences de l'URSS préparait un dic¬tionnaire multilingue des langues du monde. J'avais cette idée des noms de poissons qui me trottait dans la tête, je suis donc allé au marché central de Rabat pour prendre les listes de noms de poissons, ensuite je suis allé auprès des marins pêcheurs de Safi et région. Je me suis rendu compte que j'avais ruminé pas mal d'interrogations sur les noms de poissons et ça me stimulait. Après cette enquête, j'ai consigné par écrit les résultats où l'on constate l'importance du fonds amazigh dans les noms de poissons utilisés par les marins pêcheurs safiots. J'avais déjà complètement oublié cette histoire quand un jour, en 1981, j'ai reçu un courrier à propos du fameux dictionnaire multilingue où je suis cité parmi les contributeurs. Je représentais le Maroc parmi un ensemble de contributions du monde entier.
Par la suite, cela semble avoir eu de l'écho car je commen¬çais à recevoir du courrier de gens me demandant des infor¬mations, des éclaircissements, des précisions sur les noms de poissons. Comme je n'avais pas de réponses à toutes ces interrogations, j'étais obligé de chercher, de creuser. Peu à peu, je m'intéressais aux noms scientifiques, à l'étymologie et j'approfondissais la thématique.
L'Opinion: Est-ce que ces anciens noms de poisson d'origine amazigh se maintiennent ?
Abderrahim Lataoui: L'usage quotidien obéit à la pression du marché, là où il y a intérêt, nécessité, argent. Dans ce sens, il faut dire que le nom de poisson courant est en fran¬çais dans les factures, on écrit les noms en français dans les mercuriales et factures pour une question d'usage pratique. Ce qui fait que les gens auraient tendance à oublier un peu les noms marocains qui sont, à partir du sud d'El Jadida ou disons à partir d'Oualidia, d'origine amazighe et encore en usage chez les travailleurs de la mer. Ces noms sont encore vivants dans le milieu des pêcheurs mais on ne les emploie pas dans les factures et cela peut représenter un danger car, à la longue, ça peut entraîner une amnésie en les gommant des mémoires.
A Safi, quand on parle de pageot par exemple on dit encore entre marins Amzough. Il y a des noms comme chargho qui existaient bien avant la venue des Français. Il faut dire, comme les grands spécialistes de la dialectologie tel Georges Colin que j'ai personnellement connu, que les noms ne sont pas empruntés mais plutôt qu'il s'agit de mots méditerranéens communs, c'est-à-dire remontant à une histoire très lointaine grâce à des échanges parce qu'on découvre les mêmes mots dans le pourtour de la Méditerranée et c'est difficile de dire qui a emprunté à l'autre.
L'Opinion: Est-ce qu'on peut parler
d'un fonds libyque ?
Abderrahim Lataoui: Il y a un nom qui est problématique, c'est le nom de la daurade royale, un des meilleurs poissons à la chair très estimée, on dirait un sar mais avec une tâche jaune. C'est un poisson qui coûte cher. Comment ce poisson est-il appelé chez nous à partir de Oualidia et jusqu'au Souss ? Eh bien on l'appelle Amoun ou Tamount. Je me suis posé la question: pourquoi Amoun ? On ne peut s'empêcher, en entendant ce nom, de penser à l'Egypte. On sait que le culte du bélier existait chez nous. On en voit des traces dans des grottes, des peintures rupestres. Ce n'est pas spécifique à une région donnée. Dans le désert libyen il y avait le dieu Amoun qu'on appelait Amouni. A Safi, de plus, il y a un quartier donnant sur la mer appelé Amouni. Je me suis demandé si le culte du bélier chez des gens de l'intérieur ne s'était pas transformé en culte de ce poisson sur le littoral.
D'autres exemples spécifiques ont été importants quoiqu'il y ait en réalité plus d'interrogations que de réponses.
L'Opinion: Quelle remarque la plus
importante à tirer de votre travail ?
Abderrahim Lataoui: C'est le fait qu'on constate qu'il y a une zone à prédominance amazighe après le village Ayyir, c'est-à-dire après Oualidia et jusqu'au Souss. Ayyir est un site qui surplombe la mer. Dans le dictionnaire amazigh de Taïfi, on apprend que Ayyir est un mot amazigh qui désigne un endroit élevé.
Parmi les noms de poisson d'origine amazighe en usage quotidien chez les marins pêcheurs de Safi, j'en citerai quelques uns à titre d'exemple: Ablagh pour désigner le loup tacheté, Aghounja signifiant cuillère, louche en berbère pour désigner le grondin, Aghouri variété de raie, Amzel qui désigne le sar doré, mot amazigh signifiant en langage terrien «for¬geron», Awragh qui désigne le sériole, poisson limon tandis que la racine du mot signifie une couleur jaune pâle, Azelmza désignant l'ombrine, c'est un mot à multiple variantes qui vient de la racine SLM qui a donné Aselm signifiant poisson. Sans oublier les noms d'animaux terrestres comme Wechen qui signifie en amazigh le chacal et qui désigne pour les marins le mérou etc.
L'Opinion: Comment le travail avait été effectué ?
Abderrahim Lataoui: En plus des nombreux marins que j'ai côtoyés, j'ai eu la chance d'avoir comme interlocuteur et informateur un vieux rais, M. Benhida qui était en même temps un fin poète du melhoun. A Safi et Essaouira, on le sait, il y avait un melhoun spécifique aux marins pêcheurs appelé «Tagbalt» qui est un mot d'origine arabe berbérisé tout comme, du reste, ces noms de professions tahaddadt, takharrazt, tanajjart etc. Ce qui montre ce brassage culturel linguistique entre l'arabe et l'amazigh depuis des centaines d'années de sorte que, souvent dans un nom, on peut décou¬vrir une racine arabe tandis que la morphologie est amazighe.
Tout ce que j'ai pu rassembler donc je l'ai réalisé auprès des marins pêcheurs à la base. A maintes reprises, je suis sorti avec eux en mer. Parallèlement, il y a eu les très impor¬tants travaux de recherche qui ont été réalisés par les cher¬cheurs français. Les plus intéressants avaient été publiés dans la revue Hespéris qu'éditait l'Institut des Hautes Etudes Marocaines. Je crois que c'est le tome 3 de l'année 1923 où ces études furent publiées. Je prenais des noms dans ces études et j'allais demander aux marins est-ce que ça leur disait quelque chose.
D'autres études avaient été réalisées au Nord du Maroc par les Espagnols.
Par contre, jusqu'à il y a quelques années les études de dialectologie chez nous ne suscitaient pas l'intérêt de beau¬coup de chercheurs. La conception que seule la langue écrite méritait l'intérêt avait eu la vie dure. A une certaine époque, le fait de s'intéresser à la langue orale revenait à se ravaler. Bien sûr, aujourd'hui les choses ont complètement changé car on s'intéresse de plus en plus à la culture populaire.
Par ailleurs, il y a lieu de signaler qu'en allant d'El Jadida vers le nord, on observe la prédominance de noms arabes pour les noms de poissons, quoiqu'en réalité, ce qui prédo¬mine le plus ce sont plutôt les noms portugais et espagnols. Cela n'a rien à voir avec le Protectorat espagnol car cela est bien antérieur de cette phase historique.
A Safi, on découvre aujourd'hui quelques noms techniques portugais dans le langage des marins. C'est que pendant la période du Protectorat français, les grands marins pêcheurs portugais sont venus travailler à Safi. Ce sont ces Portugais qui ont appris aux Safios les techniques de la pêche moderne et ici je parle des années 30 et 40 du XXème siècle. L'art de la pêche moderne on le doit aux Portugais, du moins à Safi.
De tout temps les Safios, on le sait, étaient de vrais marins mais à l'arrivée des Européens au XXè siècle, ils usaient encore de techniques anciennes qui n'avaient rien à voir avec les techniques de pêche moderne. A leur venue au Maroc, les Français disaient que les Marocains avaient peur de l'eau. C'était une aberration, un cliché. Mais ils devaient découvrir par la suite l'existence de rwayes extraordinaires, de vrais capitaines de bateaux connaissant parfaitement la mer, sachant naviguer dans des situations difficiles, possédant des connaissances sur le poisson et la pêche. Benhida en était un de cette trempe. Il m'a appris pas mal de choses. En plus, il faisait des comparaisons entre des noms des mêmes poissons selon les régions du Maroc au sud et au nord car il avait pas mal navigué entre les ports de l'Atlantique et de la Méditerranée.


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.