En première ligne, il incarne une nouvelle race de ministres, à mi-chemin entre le technocrate et le politique. Combatif, déterminé et volontaire … lors de son dernier passage télévisé, Karim Ghellab a, une nouvelle fois, fait sensation. Invité de Noqat Ala Al Horof, la nouvelle émission de débat sur 2M, le jeune ministre istiqlali a démontré (encore une fois) qu'il n'avait pas peur de se mettre en avant et de prendre des risques pour défendre des projets qui lui tiennent particulièrement à cœur. « Une qualité assez rare chez nos politiciens, plutôt adeptes du vivons heureux, vivons cachés », ironise un politologue casablancais qui poursuit : « les politiques marocains évoluent dans un environnement flou et instable, où ils donnent l'impression de risquer leur poste et leurs privilèges à tout instant. C'est ce qui les rend frileux et aussi peu volontaristes ». Et cela, Karim Ghellab (technocrate jusqu'au bout des ongles) a toujours su y prêter très peu d'intérêt. Une grande aventure… Le grand public le découvre en effet en novembre 2002. Il n'a que 36 ans et devient (un peu malgré lui) le ministre le plus jeune de l'histoire récente du pays. Naturellement, il attire la lumière vers lui et détonne par son style, frais et différent. Il constitue alors, avec deux de ses confrères au gouvernement et au parti (Adil Douiri et Taoufiq Hejira), l'exemple même du « ministre marocain du troisième millénaire ». Tout comme Hejira, Ghellab a un avantage de taille : une connaissance parfaite du département dont il a désormais la charge. Car avant de devenir ministre de l'Equipement, Karim Ghellab a doucement gravi les échelons administratifs. Son diplôme des Ponts et chaussées en poche, le jeune Karim entame une carrière dans le consulting à Paris mais l'appel du pays est plus fort. Il embarque alors sa future épouse (italienne) et atterrit à … El Hoceima. A cette étape, le jeune ingénieur ne se doute pas de la carrière qui s'ouvre à lui mais mesure parfaitement sa chance. « A l'époque, explique-t-il, le ministère manquait de cadres marocains. Ceux rentrés de l'étranger étaient donc systématiquement nommés à la tête de délégations régionales ». Karim Ghellab est alors un jeune fonctionnaire ambitieux … qui ne gagne pas plus de 6.000 DH par mois. Nous sommes au milieu des années 90. Deux ans de terrain (entre El Hoceima et Beni Mellal) auront suffi à Ghellab pour taper dans l'œil de ses supérieurs. En 1994, il intègre l'administration centrale en tant que directeur des études et de la planification. Son mentor s'appelle alors Abdelaziz Meziane Belfqih, ingénieur en chef sous Hassan II. En 1997, Karim Ghellab prend la direction des routes et de la circulation et découvre la gravité du problème lié aux accidents de la circulation. A cette époque, il découvre également la dure réalité de l'administration marocaine. Mis à l'écart par un ministre qui ne le portait pas dans son cœur, Karim Ghellab claque la porte du ministère et rejoint … le groupe ONA. Mais la parenthèse sera de courte durée. Grâce aux recommandation de Belfqih (aussi influent sous Mohammed VI que sous Hassan II), Karim Ghellab est propulsé (en 2001) en tant que directeur général de l'Office national des chemins de fer (ONCF). Le jeune fonctionnaire devient officiellement un commis de l'Etat. C'est alors le début d'une grande aventure … C'est dire que sa nomination en novembre 2002 à la tête du ministère de l'Equipement et du transport n'a finalement étonné que le grand public. « Ce n'est pas tant sa nomination à ce poste qui a étonné, se rappelle un journaliste qui l'a suivi de près. C'est surtout son âge et son appartenance politique qui ont fait tache ». En 2002 en effet, le jeune ingénieur (qu'on croyait apolitique) se découvre une passion pour … l'Istiqlal. Des cadres du parti de la Balance crient au scandale et boudent ce « parachuté en politique ». Plutôt que d'aller vers la confrontation ou la surenchère, Ghellab fait profil bas et compile ses basiques en politique. Il ne rate aucune réunion importante du parti et prend très au sérieux ses passages devant les parlementaires. Dans son entourage, on confie qu'il apprend l'arabe classique, outil tactique indispensable en politique. Parallèlement à cela, Karim Ghellab fait du bon travail. « Devenir ministre est une chance incroyable. Cela vous permet de gérer un secteur dans sa globalité et d'agir pour que les choses changent », a-t-il l'habitude de répéter autour de lui. En total accord avec son Premier ministre, Driss Jettou, le jeune ministre est sur tous les fronts. Autoroutes, sécurité routière, libéralisation du ciel, réforme portuaire, logistique … ses journées sont interminables. Mais là encore, le ministre (décidément né sous une bonne étoile) a une chance : la politique des grands chantiers, initiée et pilotée par le roi Mohammed VI en personne. Cela le met, presque par défaut, sur le devant de la scène. Le ministère de l'Equipement étant, officiellement, le maitre d'œuvre du gouvernement. Sous son mandat par exemple, le Maroc construit quatre fois plus d'autoroute que durant les dix dernières années du règne de Hassan II, l'aérien décolle et de grandes réformes se mettent en place. L'ex directeur des routes réactive le comité de prévention contre les accidents et entame une large opération de sensibilisation. Karim Ghellab a également les faveurs des patrons de la police et de la gendarmerie, qu'il consulte régulièrement pour les questions liés à la « guerre des routes ». Sa première victoire dans ce domaine sera d'ailleurs le port de la ceinture de sécurité, devenu obligatoire en 2005. La bataille du Code de la route Mais Karim Ghellab ne se laisse pas griser pour autant. Cette première bataille lui a permis de mesurer la force de nuisance de certains lobbys dans le secteur du transport. Devant la tempête, il accepte d'ailleurs de faire exception pour les professionnels, qui ne portent toujours pas de ceinture de sécurité. « A ce stade, il pouvait faire marche arrière. Rester sur ses acquis, poursuivre son action dans les grands chantiers, construire des routes, des barrages, libéraliser l'aérien, etc. Mais Karim Ghellab est un garçon têtu, affirme notre journaliste. Il tient à mener son projet de réforme de la circulation jusqu'au bout. Les protestations des professionnels ne le découragent pas mais le renseignent sur la difficulté de la mission ». Au sein de l'Istiqlal, Ghellab n'est plus un militant contesté. Bien au contraire. Le plus vieux parti du Maroc sait qu'il s'offre une incroyable (et indispensable) cure de jeunesse grâce à ses ministres technocrates. Entre temps, Karim Ghellab est en plus parti chercher sa légitimité politique sur le terrain, et plus précisément à la commune de Sbata dont il devient président en 2003. Au gouvernement, Driss Jettou fait confiance à son ministre de l'Equipement. Les deux hommes travaillent jusque tard dans la nuit sur le projet qui, ils le savent, risque de paralyser le pays en cas de mauvaise approche politique. Mais c'est le moment où jamais de lancer le débat. En Janvier 2007, une première mouture du nouveau code de la route atterrit donc à la chambre des représentants. Professionnels et syndicats déterrent la hache de guerre. « On a tout dit à propos de ce code, explique Ghellab. On m'a accusé de l'avoir importé de Suède, d'attenter au pouvoir d'achat du Marocain. Il y a eu de la manipulation puisque certains chiffres qui étaient avancés par les uns et par les autres ne servaient qu'à faire peur aux gens pour qu'ils rejettent l'idée même d'une réforme du code, parce que cela pouvait remettre en cause certains de leurs intérêts et privilèges». Rien n'y fait. Une première vague de grève paralyse le pays. Le jeune ministre hier adulé est traité de tous les noms. Certains exigent même sa démission. Le moment est difficile mais Ghellab encaisse en silence. Au sein du gouvernement, certains grognent leur mécontentement, surtout à l'approche des élections législatives de septembre 2007. Mais là encore, Ghellab prend tout le monde à court et grignote sur le temps de passage de son parti à la télévision pour défendre, en direct, un code décrié par tout le monde. La prestation est de qualité même si la démarche, jugée aventureuse, divise. En 2007, Karim Ghellab est reconduit au sein d'un gouvernement désormais mené par Abbas El Fassi, secrétaire général du parti de l'Istiqlal. Même s'il ne l'a jamais affirmé, Karim Ghellab regrettera beaucoup Driss Jettou, un homme d'affaires pragmatique et fonceur, un peu comme lui. Mais Ghellab ne se laisse pas démonter pour autant. Il remet son projet de code sur la table, et rappelle ses succès en matière de réforme portuaire et de libéralisation de l'aérien. Le jeune ministre a gagné en maturité et en connaissance du milieu politique. Les calculs des syndicats n'ont plus de secret pour lui, les enjeux des partis (aussi bien au sein de la majorité qu'à l'opposition) non plus. Mounir Arrami