Depuis qu'il a été désigné co-lauréat du Prix Nobel de physique 2012, des millions de personne savent désormais que Serge Haroche naquit à Casablanca d'un père juif marocain qui était avocat et d'une mère d'origine russe. Il vécut enfant jusqu'en 1956 dans la capitale économique du Royaume. Sa soudaine notoriété aura permis d'en apprendre de [...] La chronique de Salim JAY Depuis qu'il a été désigné co-lauréat du Prix Nobel de physique 2012, des millions de personne savent désormais que Serge Haroche naquit à Casablanca d'un père juif marocain qui était avocat et d'une mère d'origine russe. Il vécut enfant jusqu'en 1956 dans la capitale économique du Royaume. Sa soudaine notoriété aura permis d'en apprendre de bien belles sur la physique quantique. Retenons, pour faire court, que les principes de cette physique-là s'appliquent aux atomes, aux particules élémentaires et à l'infiniment petit. On ne manque pas d'humour dans la famille Haroche, si bien que le chanteur Raphaël, neveu du physicien, a répondu tout de go : « Ma famille ? Une famille désespérée : il y a déjà eu un prix Nobel, on sait que ça ne se reproduira plus jamais... ». Cette affirmation faussement mélancolique, Raphaël la fit à Nathalie Levisalles du quotidien parisien Libération... Ce dont on sait également que ça ne se reproduira plus jamais, c'est l'enfance, même s'il est convenu de dire que nul ne guérit de son enfance. Dès lors, on n'hésitera pas à supposer toujours marocain de cœur le nouveau lauréat du Prix Nobel de physique qui avait douze ans lorsque sa famille s'installa en France. Son enfance, Serge Haroche la contera peut-être, quelque jour, dans l'autobiographie qu'il pourrait lui venir le goût d'écrire. Des points communs avec les souvenirs de tel ou tel pourraient fort bien lui apparaître s'il lisait Une enfance juive en Méditerranée musulmane (textes indédits recueillis par Leïla Sebbar) paru en mars 2012 aux éditions Bleu autour. Casablanca y est évoquée par Anny Dayan-Rosenman et Ralph Toledano, celui-ci ayant par ailleurs publié en 2004 aux éditions Somogy intitulé Voyage dans le Maroc juif tandis qu'Anny Dayan-Rosenman, dont la grand-mère parlait l'arabe, est une universitaire et, par ailleurs, militante du dialogue israélo-palestinien. On n'omettra pas de signaler les souvenirs d'enfance souirie d'André Azoulay évoquant « la Mimouna, c'est le nom de cette fête populaire, [qui] prenait une fois par an et depuis des siècles des allures de carnaval avec ses défilés et ses feux de joie elle voyait toute la ville se réunir pour former une longue cohorte judéo-musulmane, la main dans la main, pour chanter les mêmes chansons et célébrer avec la même ferveur la liberté et le bonheur d'être ensemble ». Anny Dayan-Rosenman a intitulé sa contribution Taches de mémoire : « L'enfance à Casablanca est un film en couleurs. (...) tout y est coloré, musical. Tout y est double, dédoublé, multiple, clivé, les lieux, les fêtes, les prénoms, les langues et même les rêves ». Ralph Toledano ne fut, lui, casablancais qu'à l'âge de deux ans : « Mon premier voyage aérien a eu lieu en juillet 1953. Je viens de naître à Paris, mes parents reviennent à Casablanca », écrit-il avant de conclure : « Mon enfance était achevée, je venais de devenir un Juif marocain ». Comment n'en reviendrait-on pas aux souvenirs d'Anny Dayan Rosenman et, donc, à sa grand-mère « qui fabriquait des pains étranges en forme de visage , avec des yeux ronds et blancs, deux œufs emprisonnés dans de petits croisillons de pâte » ? Quittant Casablanca, on partagera les souvenirs de Marcel Benabou, né en 1939 à Meknes et qui fut professeur d'histoire romaine à L'Université Paris VII. Il est fort dommage que l'éditeur omette de signaler Jacob Menahem et Mimoun : une époque familiale (Seuil, 1995), le plus marocain des livres de cet autobiographe alliant rigueur et facétie. Pierre Loti raconte dans Au Maroc l'accueil que lui fit un ancêtre de Benabou « l'homme le plus riche de Mékinez ». Historien, mais aussi romancier, Benabou appartient à l'ouvroir de littérature potentielle. Son goût pour le langage et les jeux qu'il permet lui est venu des trois langues auxquelles il avait accès : le français, l'arabe dialectal et l'hébreu. Le plus émouvant début de récit est celui que propose Lucette Heller-Goldenberg. Sa mère était juive marocaine d'une lignée berbère de Oufrane et son père apatride car la Roumanie refusait la nationalité à nombre de Juifs. La directrice du Cahier d'études maghrébines qui paraît chaque année à Cologne écrit en effet dans Une enfance juive en Méditerranée musulmane : « Je suis née en 1942 à Marrakech. Le lieu de ma naissance m'a protégée. Si j'étais venue au monde en Europe, j'aurais peut-être fini comme ma grand-mère Lisa Goldenberg-Goldenzweig, à Auschwitz ». On lira aussi, bien sûr, les souvenirs de Nicole S. Serfaty née dans le village d'Imin Tanout et ceux du Marrakchi Daniel Sibony, toujours nettement rétif à célébrer ce passé-là, mais dont le récit Marrakech, le départ (Odile Jacob , 2009) ne saurait être occulté. La place manque pour évoquer comme il faudrait les auteurs parlant d'une enfance juive à Djelfa, tel le traducteur de Mario Vargas Llosa Albert Bensoussan ou bien cet autre Souiri qu'est Ami Bouganim, ainsi qu' Hubert Haddad, qui fut tunisois et Benjamin Stora qui fut constantinois ou Guy Sitbon qui a gardé Monastir au cœur. Et il y aurait encore à accompagner celles et ceux qui furent enfants à Istanbul, à Beyrouth ou au Caire.. * Tweet * *