Elle vaut le détour, la biographie de l'écrivain angolais José Luandino Vieira dont parut en 1981, chez Gallimard, un recueil de trois nouvelles nouées entre elles comme un roman d'entrée dans la vie, dans une remarquable traduction de Michel Laban. Né en 1935, au Portugal, l'auteur d'«Autrefois, dans la vie» est Angolais et blanc. Après une enfance dans les bidonvilles de Luanda, il fut condamné en 1961 à quatorze ans de réclusion pour avoir soutenu le Mouvement Populaire de Libération de l'Angola, et déporté aux îles du Cap-Vert où il écrivit la majeure partie de son œuvre, romans et nouvelles. En 1975, lors de l'indépendance de l'Angola, il put regagner son pays où il occupera un poste officiel. «Autrefois dans la vie» fait entendre une parole parée des violences et des puretés de l'enfance. Avec des ah, des oh, une capricante profusion rusée, brusquée, l'inventaire d'un territoire d'émoi, zébré de connivences. Dans le ciel de José Luandino Vieira, il y a les «gungastros», oiseaux qui ressemblent aux moineaux, les «catembos», appelés aussi veuves, qui incarnent la vanité, et le colibri-roi, «Manies d'Unique». Enfance bidonvilléenne, entre paradis et géhenne : «parce qu'autrefois, nous étions joyeux aveugles heureux dans l'œuf entier du temps, ce que nous ne savions même pas. Aujourd'hui, plus que des ombres – nous voyons, nous regardons, notre défaut nouveau. La vie ainsi, c'est déjà ne plus jamais être, tout ne consistant plus qu'à se trouver ici - ancienne unité esclave devenant mélanges affranchis». La première des nouvelles du recueil, «Là-bas à Tetembuatudia», tourne autour d'un ballon cerf-volant. L'enfance, dans un environnement tragique de violences et d'injustices, en appelle aux puissances de l'imagination, confiante : «Nous entendîmes alors le ronfle-grognement de la guerre, dans nos sonores silences des amusements, nous étions les pionniers d'un nouveau plateau du Brésil, traversant en chansons. Et nous regardâmes dans le ciel énorme tous ensemble…». «Ce que tu vois, écris-le dans un livre et envoie-le aux six couleurs qui sont sur les ailes !…», écrit José Luandino Vieira qui observa pour nous le fleuve «engorgé par un tertre gris, fait de poussière de cendre, un bidonvillissime sable inconnu». Le narrateur parle le «quimbudo, appris par cœur, fruit d'âme verte». Les enfants laissent parler les désirs du corps pour le corps. Lorsqu'une fille s'offre, José Luandino Vieira chante sa pureté : «La Fille venait. Peu à petits pas dessouriant entièrement, à la fin seules les sérieuses, très sérieuses lumières des yeux veloutés : elle se voyait du futur déjà de sa vieillesse là-bas et elle souriait une douce nostalgie de ce qui n'était même pas encore pas encore passé» (…) Là-bas, à Tetembuatubia, nous étions les rois de la joie». La clé du livre est là : tam-tam sur les tôles du balcon colonial. Avec une jubilation d'homme-musique, avec l'agilité du gamin-papillon, l'auteur peint l'institutrice et les enfants, damier du songe fou et de l'ennui indigeste. Le triomphe du héros n'est pas la mort mais l'outre-tombe, ses flagrances et ses fragrances : «Dans mon cœur s'agitèrent les ailes – c'est toujours sous une pierre mauvaise qu'il y a le bel or, seulement derrière la pierre bonne que se cache le mille-pattes ?». L'autre enfant sera pour lui comme un grillon tué par une pierre. A cause d'une femme, c'est-à-dire ici d'une presque fillette : Chaninka – «innocente jupe sur ses cheveux bidonvillés». «Mademoiselle Gloria, l'institutrice : - En plus tu ris ?… Sale gosse de bidonville… Mal élevé… Pire qu'un nègre…». De telles remarques produisent un effet foudroyant : «- Tu lis, oui, Dinito ? !… – et j'y vais de tout l'accent de la colère sur la phrase soulignée, sang du crayon : «J'aime beaucoup ma maîtresse Mademoiselle Gloria que le vent lui a levé ses jupes pendant la récréation. J'ai vu». La verve de José Luandino Vieira est comme une pluie de mousson. Elle trempe mots et choses, corps et rêves.