Sociologue, expert en management et en communication, le Pr. Mohamed Hamadi Bekouchi est aussi un spécialiste des secrets de l'univers entrepreneurial. En sa qualité de consultant international, il conseille de grands dirigeants aux quatre coins du monde. Après son dernier succès, «La Diaspora Marocaine», son nouvel ouvrage, « La rage de gagner » il s'attaque au sujet passionnant et épineux de l'intelligence collective et de l'épanouissement de l'entreprise marocaine. C'est le fruit de trente années d'expérience au Canada, en France, en Grande-Bretagne, aux Pays Scandinaves, au Brésil et au Maroc. La Gazette du Maroc : Dans un Maroc en plein chantier, et qui est face à des bouleversements et défis économiques mondiaux, on peut dire que votre livre tombe à pic ? Pr. Mohamed Bekouchi : C'est le but (rire), l'économie du marché impose à toute entreprise ou nation qui misent sur l'excellence de se renouveler et de générer de nouvelles forces, de nouvelles idées et de nouvelles pratiques. Actuellement, l'entreprise a pris une dimension internationale. Les frontières physiques sont remplacées par d'autres virtuelles où les laissés-pour-compte sont nombreux et voués à disparaitre. Les-laissés-pour-compte ? À vous entendre, il va falloir inventer un nouveau type de visa ! Dans mon livre, je ne parle pas de visa mais de SMIC culturel. Il n'est plus question, pour pouvoir être concurrentiel et survivre économiquement, de savoir lire et écrire, il faut maîtriser un métier, avoir une formation qualifiante et un niveau minimum de culture générale, connaitre au moins deux langues, être initié aux nouvelles technologies de l'information et être capable de s'adapter à un monde en constant changement. Actuellement, 3 marocains sur 5 sont exclus de cette équation. Dans une société inondée de produits à 10 DH made in china, y-a-t-il des alternatives à un défaitisme et un étouffement économique annoncés ? Deux choix intrinsèques s'imposent à la société marocaine : Un premier tiercé perdant composé de la corruption, l'incivilité et l'analphabétisation, qui, malheureusement, rongent le quotidien du citoyen Marocain, ou de miser sur un tiercé gagnant, celui-ci allie Travail, Richesse et Bonheur capable d'amener le Maroc dans la galaxie des nations heureuses. Ce deuxième choix exige de tous ceux qui sont aux postes de commandes, de faire montre de plus d'engagement et de prise de risque et d'aimer «le Produit Maroc» et d'en être fier. Qui peuvent être les bénéficiaires de «la rage de gagner» ? Cadres, chefs d'entreprises, étudiants et même dirigeants politiques, sont à la recherche d'outils managériaux qui prennent en compte la «différence» marocaine, mais sont constamment confrontés à l'absence de ce type d'ouvrage dans nos librairies et bibliothèques universitaires. A ce titre, il est regrettable que les leaders Marocains (dirigeants de grands groupes industriels et décideurs politiques), par pudeur ou par négligence, ne fassent pas partager leurs succès stories. C'est pour cela que j'ai voulu un livre qui s'adresse à tous, d'où un souci de vulgarisation et de pragmatisme. Je l'ai imaginé comme un carnet de route vivant et modulable pour toutes les catégories socio professionnelles. En d'autres mots, il concerne tout aussi bien les petites et moyennes entreprises que les grands groupes, les municipalités, les partis politiques et les syndicats. Tout le monde rêve de devenir son propre chef mais ne serait-ce pas un peu un fantasme ? Concevoir un projet d'entreprise, au-delà de l'effet de mimétisme de la téléboutique ou du café entre deux cafés, est un processus excitant mais aussi complexe et douloureux. Avoir l'idée, savoir l'exploiter au bon moment, comprendre les rouages et la psychologie d'une administration rigide et trouver l'accompagnement financier et informationnel. Nous sommes loin du fantasme, l'entrepreneur doit d'une part avoir la tête dans les étoiles pour avoir cette aptitude d'anticipation et de création et être solidement ancré dans la réalité et être à l'affut. Ce n'est pas un hasard s'il n'y a que 2% des jeunes marocains qui sont, à priori, attirés par l'entreprenariat. Quand on sait que plus de 95% du tissu économique marocain est constitué de Petites et Moyennes Entreprises, on peut se poser des questions sur le renouvellement et la vitalité du secteur. J'ai envie de dire mais que fait la police ? Je veux dire, que fait-on pour aider les entrepreneurs à créer et à s'épanouir dans l'entreprise ? Existe-t-il des structures d'accompagnement pour donner plus de chance aux projets d'aboutir à l'instar de l'émission challengers ? Au-delà de la caricature médiatique, il existe en théorie, un certain nombre de structures d'accompagnement pour la création d'entreprise (CJD, CRI, ANAPEC, différentes fondations…). En pratique, il n'existe aucun espace réservé à la création ou l'épanouissement de projet d'entreprise, y compris au niveau de l'université (Facultés, Grandes écoles, Ecoles de commerce). Le jeune entrepreneur se retrouve livré à lui-même dans un monde où personne ne semble comprendre sa langue, certains banquiers semblent être étonnés par la réussite de projets ingénieux portés par des jeunes entrepreneurs avec peu de moyens. Il est important de penser et de créer des structures ad hoc d'incubation de projet, d'écoute et d'accompagnement concrets qui soient souples et de proximité. Il faut passer à la vitesse supérieure en créant une banque de projets innovants et en facilitant les rencontres par le biais de réseaux, que ce soit au niveau local ou via la diaspora (250 000 marocains à l'étranger recensés par le Bureau International du Travail interviennent au niveau de grandes multinationales, de centre de recherche, d'universités, de municipalités…) Finalement, quels sont les dix commandements pour réussir son entreprise ? Sans être donneur de leçons, l'entreprise est, avant tout, une affaire d'hommes et de femmes d'intelligence collective. Il est indispensable que patrons et collaborateurs travaillent main dans la main et partagent les mêmes objectifs, la même philosophie, la même éthique et les mêmes valeurs pour le bien personnel et celui de l'entreprise, en visant toujours haut et loin. Seconds facteurs qui me paraissent tout aussi importants, il faut avoir une motivation profonde et des convictions ainsi qu'un fort sentiment d'appartenance à un groupe et avoir le désir d'être et de travailler ensemble. Vient ensuite la formation tout au long du cursus professionnel, la prise de risque, la capacité d'adaptation au changement, la recherche et le développement, l'anticipation et assimilation des nouvelles règles du jeu. Tout ceci ne saurait être possible, sans l'exigence de travailler beaucoup, travailler encore et travailler toujours. En fin de compte, une fois patron et collaborateurs motivés, formés et épanouis, ils pourront dégager des forces inestimables et aller au bout du monde.