Autant il militait pour un islam militant et unioniste, autant il s'opposait aux fausses interprétations de l'Islam authentique et combattait, par la religion, toutes les formes de charlatanisme. Cheikh Chouaîb Doukkali qui vécut le Maroc de la fin du 19 siècle, était une personnalité religieuses hors-paire. Le Cheikh Abou Chouaîb Doukkali est né à El-Jadida un certain 20 octobre 1878. Il a grandi au sein d'une famille de science et de religion d'origine doukkalie. Après un parcours exemplaire à l'échelle nationale, et un long séjour dans l'orient arabe, il est décédé le 17 juillet 1937 à Rabat. Mais il aura été l'un des précurseurs de la lutte nationale pour la Justice, l'indépendance et le développement. De son temps, il était considéré pour ses idées audacieuses, empreintes des valeurs de tolérance islamique et de coexistence pacifique. Plusieurs générations d'Oulémas, de F'quihs, d'imams et d'intellectuels marocains et arabes étaient parmi ses disciples. Bon nombre d'entre eux lui ont été confiés directement par leurs parents. Ils sont venus d'horizons différents et de toutes les régions du Maroc : de Marrakech, Fès et Rabat. Du Rif et du Souss et même des pays arabes. Les fils du Hidjaz d'Arabie, d'Egypte et de Syrie. C'est sans doute le premier Alem marocain dont la notoriété a largement dépassé les frontières du Royaume chérifien pour toucher plusieurs Etats du monde arabo- musulman. Le Alem anti-charlatanisme L'histoire du Maroc de la fin du 19éme siècle retiendra que le Cheikh Chouaîb Doukkali avait joué un rôle pionnier sur un registre non moins glorieux que la lutte anti- coloniale. Il s'était dépensé à fond pour combattre le charlatanisme par la religion. Il était le premier à s'être élevé contre toutes les fausses croyances et les interprétations erronées de la religion musulmane. Il s'opposait, au nom de l'Islam, aussi bien aux hérésies «Bidaâ» qu'à toutes les formes d'extrémisme et d'orthodoxie en matière de religion. Plus clairement encore, il était contre le culte de la personnalité, contre les visites des zaouias et des mausolées, contre la célébration des festivités, des moussems et des manifestations n'ayant aucun rapport avec l'esprit de l'Islam. Ses contemporains lui reconnaissent cette personnalité multidimensionnelle, cette érudition et cette capacité d'exceller dans les sciences du Hadith, et de la Sounna comme dans tous les rites musulmans. «Il était imbattable en matière des sciences coraniques, de la lecture du Livre sacré, de l'explication du sens des versets et de leurs objectifs. Il était aussi considéré comme la meilleure référence en matière de jugement fondé sur la Chariâ et expert en matière de grammaire, d'orthographe et de syntaxe de la langue arabe». De Tanger et le Rif au Caire et à la Mecque Feu Cheikh Chouaïb a surtout exercé le métier d'enseignant à Tanger et a sillonné toute la région du Nord marocain avant de partir pour le Proche orient et plus précisément au Caire où il poursuivit de hautes études en théologie à la célèbre université islamique d'Al-Azhar Al Charif. De la capitale égyptienne, il choisira de passer quelque temps aux lieux Saints de l'Islam. A la Mecque, il fit la connaissance de nombreux Oulémas représentants toutes les contrées du monde arabo-musulman. C'est l'occasion pour lui d'apprendre davantage et de comparer ses connaissances. A la Mecque, Cheikh Chouaîb ne passera pas inaperçu puisqu'on le présenta comme un authentique représentant de la pensée islamique venant de l'Occident musulman. Il eut en effet l'occasion de donner des leçons, des conférences et de prononcer des discours et dont l'impact influença positivement ses collègues. Grâce à son ouverture, à son esprit de dialogue et sa tolérance il eut aussi l'occasion de prononcer des Fetwa s'inspirant des quatre rites sunnites. En l'an 1908, il retourne enfin au Maroc où il s'installa dans la ville de Fès. la capitale spirituelle où il bénéficiera de la haute sollicitude de la part du Sultan Moulay Hafid qui venait à peine de succéder à son jeune frère Moulay Abdellaziz sur le Trône Alaouite. Il sera nommé Cadi (juge) du Sultan dans la ville de Marrakech. La population de cette ville gardera de lui le souvenir d'un juge honnête, vigilant et impartial. «Un homme qui n'a peur d'aucune autorité sauf celle du bon Dieu», racontent ses proches. En 1911, il sera promu au rang de Visir (ministre) chargé tout particulièrement de la Justice, la fonction qu'il a occupé à Marrakech et l'Enseignement, son premier métier pratiqué dés la fin du 19 siècle dans le nord du Maroc. Quelques années plus tard et alors que le protectorat français s'installait déjà en vertu de l'accord de Fès instaurant le protectorat, il présente sa démission en signe de protestation contre les pressions et les machinations dont il a fait l'objet. Il conservera néanmoins son rang de ministre d'honneur. Cheikh Chouaîb a tissé des rapports profonds et des relations régulières avec tous les sultans du Maroc. S'il est né sous le règne de Feu le Roi Moulay Hassan Premier, il avait des rapports directs avec ses trois fils : Moulay Abdellaziz, Moulay Hafid et Moulay Youssef. A partir de 1937, date de l'intronisation du libérateur de la Nation Feu Mohammed V, Cheikh Chouaib Doukkali aura une place particulière dans l'entourage comme dans le cœur de Feu Mohammed V qui lui décerna très tôt le Wissam Alaouite. Il eut à la fin de sa vie l'occasion de revenir dans les grandes universités du monde arabe : Al Azhar du Caire, Azzaitouna de Kairouan en Tunisie et celle des Karaouyine de Fès. C'est le couronnement d'un long itinéraire où il força le respect des fidèles comme des Oulémas et des penseurs du monde musulman. Mais le plus significatif dans la vie de Cheikh Chouaib Doukkali est incontestablement les multiples campagnes qu'il avait menés pour combattre le charlatanisme par la religion. Il s'opposait au nom de l'Islam à toutes les idées démodées ou préfabriquées. Aux mythes qui dominaient encore certains esprits, en particulier au sein de certaines zaouyias qui regorgeaient d'idées extrémistes au nom de la religion. Au point que l'on disait que ce sont les idées de Cheikh Chouaîb qui ont balisé le terrain à la lutte nationale et la résistance héroïque que les Marocains ont livré contre le protectorat et la domination étrangère qui s'étaient abattus sur le Maroc à l'aube du siècle dernier. Une rencontre historique avec Lyautey Avec le lancement par l'administration coloniale des premières écoles modernes où l'on enseignait notamment la langue de Molière, Cheikh Chouaîb, tout en encouragent les jeunes élèves marocains à apprendre les rudiments de la langue française, ne manqua jamais l'occasion de leur rappeler que l'arabe était bel et bien «La langue de la Nation et de sa religion.». Il avait même donné des leçons d'arabe aux instituteurs français afin, disait-il, qu' «ils puissent connaître le milieu marocain et permettre aux élèves de rester attachés à leur langue et à leur culture ancestrale». Aux premières années du protectorat français, Cheikh Chouaîb Doukkali avait eu l'occasion de participer à une réunion officielle avec le premier résident français au Maroc en l'occurrence le Maréchal Lyautey. C'était pour lui une opportunité pour démontrer toute l'importance que revêtait la question de l'identité nationale, de la culture et la personnalité marocaine. Le Maréchal Lyautey n'avait pas caché toute son admiration, son respect et sa sympathie pour la personnalité de ce Alem marocain soucieux avant tout de conserver les valeurs ancestrales de son peuple. Mais qui avait néanmoins de nombreux ennemis et adversaires qui n'attendaient que l'occasion propice de l'éloigner des hautes sphères du pouvoir. On dit même que l'un de ses étudiants à Al Karaouine avait écrit sur le siège de Cheikh Chouaîb un verset tiré du Saint Coran «ô Chouaîb, nous comprenons beaucoup ce que tu dis, mais nous considérons que tu es le plus faible d'entre nous». Cheikh Chouaib ne se soucia guère de ces écrits. Il préféra dire tout simplement : «Mon Dieu ! Guide ma communauté et mes compatriotes, car beaucoup d'entre eux ne savent pas !» Traduit de l'arabe par Omar El Anouari