La « Dame Blanche », Lalla El-Beida, la vertueuse épouse de Sidi Belyout, Sidi Allal El Kairouani, Lalla Taja, Sidi Bousmara… Que de noms évocateurs ! Car qui parmi nous, n'a pas une grand-mère, un grand-oncle, une vieille tante et parfois même des connaissances plus jeunes encore, qui auraient franchi le seuil de ces marabouts ou invoqué leur bénédiction. Ces Saints font pleinement partie de toute l'histoire du Maroc, du nord au sud et d'est en ouest. C'est pourquoi, le mythe, l'archéologie et l'histoire se rejoignent souvent pour créer la continuité entre Anfa et Casablanca. Cette Cité a eu un destin étonnant qui l'a fait renaître de ses cendres par la volonté d'un sultan éclairé à la fin du siècle des Lumières. Elle est ainsi passée d'un statut de cité d'un Monde perdu à celui d'une Ville mondialement connue. Mais ses saints n'ont pas bougé de place et veillent toujours sur elle… Sidi Allal El Kairouni, saint Patron des pêcheurs Au milieu du XIème siècle, Anfa est déjà défendue par une enceinte. Elle est aussi le fief de l'hérésie Berghwata. Les Almoravides s'y prennent à plusieurs fois pendant dix ans pour soumettre la ville et les hérétiques en 1068. Dans la lutte qui oppose les Almohades et les Mérinides, au milieu du XIIIème siècle, le siège d'Anfa s'avère décisif pour asseoir leur pouvoir sur une partie du Maroc atlantique. C'est aussi à cette époque (en 1340) qu'arrive un saint homme, Sidi Allal el-Kairouani. La légende raconte qu'au XIVe siècle, Sidi Allal El Kairouni serait parti de Kairouan (en Tunisie) en bateau pour rejoindre le Sénégal. Mais son navire fit naufrage au large de Casablanca. Il aurait été recueilli par les pêcheurs de la ville. À la mort de sa femme, il demanda à sa fille unique, Lalla Beida, de le rejoindre. À son tour, elle fit naufrage et se noya devant la ville. Sidi Allal l'enterra face à la mer et demanda à être enseveli près d'elle. Le sanctuaire qui abrite la sépulture de Sidi Allal et de sa fille, Lalla Beida, prit le nom de « Maison de la Blanche » en hommage à Lalla Beïda, réputée pour la blancheur de son teint. Les murs chaulés du Mausolée sont d'ailleurs visibles de loin, en mer. C'est ainsi que Casablanca porte vraisemblablement le nom de Dar El Beida, en souvenir du patron des pêcheurs Allal Al Kairouani et de sa fille. Ce nom est donné à la ville à partir de 1770, à l'époque où le Sultan Moulay Mohammed Ben Abdallah (Mohammed III) entreprend sa reconstruction. Le mausolée du premier saint patron de la ville, se trouve derrière la Sqala, sur la place de Sidi Allal El Kairouani. Edifié par le sultan Sidi Mohamed Ben Abdallah, ce marabout est le plus ancien de Casablanca. Il possède une double couronne de merlons festonnés et une Koubba, surmontée de trois boules de cuivre jaune. Les pêcheurs s'y rendent régulièrement pour demander la protection du saint. En cas de difficulté en mer, ils l'invoquent et implorent son assistance et sa bénédiction. Sidi Bousmara, l'homme aux clous À l'ouest de l'ancienne médina, le tombeau de Sidi Bousmara occupe le centre d'une petite place calme. Entouré de quelques herbes, le saint repose à l'ombre d'un vieux figuier banian dont le tronc et les racines forment un énorme entrelacs. On raconte que Sidi Bou Smara aurait passé sous son ombrage le reste de ses jours. Depuis, selon une coutume ancestrale, les gens viennent planter des clous dans le tronc de l'arbre pour invoquer l'aide du saint. Au X ème siècle, une terrible sécheresse sévissait sur Casablanca. La légende raconte que parmi les descendants des conquérants arabes, un homme pieux à la barbe blanche, Sidi Bousmara, était de passage dans la ville. Il frappa un jour à la porte d'une maison et demanda de l'eau pour faire ses ablutions. Il n'obtint pour toute réponse que jets de pierres et injures. Certains racontent qu'on lui apporta finalement une pierre lisse en remplacement de l'eau utilisée pour se purifier. Frappant alors la terre de son bâton de pèlerin, il en fit jaillir une source. La nouvelle circula comme une traînée de poudre ; homme femmes et enfants accoururent chargés de jarre pour s'approvisionner en eau claire et douce… Impressionnés par ce miracle, les Casablancais lui demandèrent de ne plus repartir. Le vieil homme accepta à condition qu'on le laisse vivre en ermite. Il s'installa dans un angle du cimetière et y planta un ficus qui prit des proportions gigantesques. Sidi Bou Smara vécut le restant de ses jours sous cet arbre qui offrait une grande zone ombragée. Le tombeau de Sidi Bousmara (rue Sidi Bousmara) situé devant le square créé en 1917, ressemble à une petite maison aux murs peints en blanc. Le mausolée est en fait un simple carré en pierre où sont creusées deux niches dans lesquelles les fidèles déposent des cierges. Le toit à quatre pans triangulaires est recouvert de tuiles vertes. De grandes arcades aux piliers turquoise entourent le petit jardin où se trouve le mausolée. Bien alignées à droite du tombeau, se trouvent des pierres tombales. Quelques arbres entourent le jardin. L'un d'entre eux porte de nombreux clous sur son tronc. Selon une coutume ancestrale, les pèlerins viennent planter des clous dans le tronc de cet arbre pour demander de l'aide au saint. Le mausolée de Sidi Bousmara est d'ailleurs encore très visité de nos jours. De vieilles dames assises en tailleur devant des petites tables surchargées, vendent des bougies et des clous. Parmi leurs clients habituels, on trouve de nombreuses personnes venant chercher du travail à Casablanca. Ils plantent les clous dans les arbres entourant le marabout afin que la bénédiction du saint homme les retienne dans la ville. Dans la tradition ésotérique marocaine, le clou a une signification très particulière. Il peut blesser. Ainsi, le sang écoulé éloignerait les mauvais génies. Symboliquement, en enfonçant un clou dans du bois, on délimite une aire géographique « magique » capable d'y retenir celui qui l'a planté. Le Coran( Al Hadid LVII verset 25) revient également sur l'importance du fer « …Nous avons créé le fer qui possède un danger terrible et une utilité pour les Hommes… ». D'autres affirment que le caractère magique donné à ce métal, serait lié a son invention. Celle-ci est l'une des plus grandes découvertes que l'humanité ait connues. Dès lors, les premiers à l'avoir utilisé, auraient inspiré une grande crainte et une surprise sans précédent chez leurs congénères. Lalla Taja Place de Belgique, dans l'ancienne médina, une vieille école primaire a remplacé l'ancien consulat allemand, près du premier hôtel de Casablanca. Ici également, se trouve le sanctuaire de Lalla Taja, une femme sainte qui se distingua par sa compassion pour les enfants abandonnés. Son mausolée évoque une bien triste histoire. Vers la fin du XIX ème siècle, une jeune femme, Lalla Taja, belle et courageuse, vivait dans l'ancienne médina. Cette bienfaitrice se consacrait à de nombreuses actions sociales au profit des enfants abandonnés. Le consul de Belgique lui avait fait don d'argent pour les enfants dont elle s'occupait. La rumeur raconte qu'elle fit connaissance d'un secrétaire du consul avec qui elle eut une idylle. Les hommes de son quartier ne lui adressèrent plus la parole. Morte lapidée par la rue, Lalla Taja se vit interdire les portes du cimetière musulman. Convaincues de son innocence, les femmes avaient de son vivant, continué à l'aider et à la fréquenter. Elles réussirent à obtenir du consul de Belgique, la possibilité d'enterrer la pauvre femme, dans un terrain qui appartenait à la légation belge. Le marabout construit autour de sa tombe, est aujourd'hui encore, visité et honoré par des femmes, venant de tout le Maroc. Un poème chantant les mérites de Lalla Taja est aussi souvent chanté lors des fêtes et autrefois, dans le secret des hammams.