La politique du gouvernement est de faire en sorte que les secteurs économiques soient encadrés davantage pour éviter le monopole et faire en sorte que ce soit la capacité technique et professionnelle qui prévaut. ALM : Peut-on considérer l'augmentation du prix du carburant comme l'une des premières mesures de la réforme de la Caisse de compensation ? Idriss Azami Al Idrissi : Il faut mettre cette augmentation dans le contexte global, notamment la loi de Finances 2012. C'est pour cela qu'on dit qu'il s'agit d'une mesure qui s'inscrit dans le processus de la réforme de la Caisse de compensation. Cette mesure a pour objet de répondre à des difficultés d'ordre financier qui ont trait à la conjoncture internationale, notamment la hausse des prix des produits pétroliers, qui sur les cinq premiers mois étaient sans commune mesure avec une moyenne de 117 dollars le baril, par rapport à 104 l'année dernière sur la même période et 78 l'année d'avant. Nous avons programmé dans le cadre de la loi de Finances une enveloppe globale de 32,5 milliards alloués à la Caisse de compensation. A fin mai, on a consommé plus de 80% de cette enveloppe. Donc si on continuait sur la même lancée, on se serait retrouvé à la fin de l'année avec une enveloppe de compensation de presque 60 milliards DH. Qu'aurait-il pu se passer s'il n'y avait pas eu cette augmentation des prix à la pompe ? Cela veut dire que toutes les mesures sociales que nous avons programmées et d'autres mesures d'investissement ne seront pas finançables, si ce n'est par l'augmentation de la dette publique. Dans le cadre de la loi de Finances, nous avons programmé un budget d'investissement de l'Etat de l'ordre de 50 milliards DH, aussi nous avons pris en charge les retombées du dialogue social avec plus de 13 milliards DH, en plus d'un certain nombre de mesures sociales. Donc face à cette situation, il fallait faire un arbitrage pour d'abord maintenir la soutenabilité du budget et bien sûr continuer à financer l'investissement et les politiques sociales. Dans cette situation cette mesure était une obligation, on était devant nos responsabilités : soit faire des coupes budgétaires au niveau de l'investissement, soit au niveau des dépenses sociales, soit une augmentation limitée des prix à la pompe (non un système d'indexation totale). Que permet aujourd'hui cette mesure ? Cette mesure nous permettrait d'avoir une économie à peu près de 5 milliards DH. Avec cette économie-là , nous avons aussi une économie du même niveau et qui concerne la rationalisation des dépenses courantes du train de vie de l'Etat, que ce soit sur un certain nombre de consommables, voitures, frais de missions, hôtellerie et autres. Cela nous permettrait de maintenir le déficit à 5%, ce qui est très important. Il est également question de maintenir l'effort d'investissement, et bien sûr de maintenir les mesures et politiques sociales programmées dans le cadre de la loi de Finances. Et finalement l'objectif avec tout cela est de préserver la crédibilité financière et économique du Maroc. Celle-ci est importante d'abord pour que le risque Maroc ne soit pas atteint, afin d'avoir des financements à des coûts abordables, et mobiliser plus facilement les financements. Du coup le Trésor pourrait se financer de manière normale, et ne pas induire d'effet d'éviction par rapport à l'économie productive et par rapport au système économique. Ainsi que de maintenir l'inflation à un niveau normal. Voilà le contexte de cette augmentation qui est un contexte économique mais aussi un contexte de début de réforme et de processus de réforme de la Caisse de compensation.
Mais cette augmentation aura-t-elle un impact sur les ménages des Marocains à court terme? Cet impact a été étudié. Et il est mesuré. Bien sûr lorsqu'on parle d'impact, en tout cas pour un gouvernement, ce n'est pas seulement un impact à court terme. A court terme nous sommes conscients que cette augmentation pourrait avoir un impact limité dans la mesure où nous avons activé et renforcé le contrôle. Ainsi de par nos calculs, il ne devrait pas y avoir un effet important ni sur les prix du transport public ni sur les marchandises. Par exemple, pour mille kilomètres de transport d'une marchandise à 8 tonnes, en principe l'impact sur le kilo ne devrait pas dépasser 6 centimes. La même chose pour les transports publics urbains, l'impact ne devrait pas dépasser à l'intérieur de la ville pour un trajet de 10 kilomètres 20 centimes par personne. Et donc, on suit la situation. Mais ce que nous avons entendu comme augmentation d'un dirham ou deux par personne en termes de transport public est pour nous anomal. Sur les marchés des légumes, nous avons un aperçu de la situation, normalement, il n'y a pas eu d'impact direct. Par exemple sur la tomate, il est estimé à 20 centimes, autant sur les oignons. Et bien sûr nous sommes pour le même sujet en discussion et en dialogue avec les partenaires sociaux qui sont sur le terrain que ce soit les associations ou fédérations pour que ces augmentations ne se traduisent pas par un impact énorme. Qu'en est-il de l'effet à moyen et à long termes ? Pour nous, et c'est cela l'essence de cette décision, l'effet à moyen et à long termes est un effet très positif. Parce que nous avons fait le choix du maintien de l'investissement public, notamment dans les secteurs sociaux, la santé et l'éducation donc en renforçant le capital humain, et également le choix de l'investissement pour faire de la croissance et de l'emploi et maintenir la crédibilité financière du Maroc. Parce que ce n'est qu'à travers ce choix qu'on peut avoir des financements corrects de l'économie nationale. Parce que si nous ne faisons pas ce choix qui peut paraître à court terme négatif, on aura des difficultés à financer notre économie, on aura des taux d'intérêt qui vont grimper que ce soit à l'intérieur ou l'international, et on aura la vraie inflation importante parce que le taux d'intérêt est un taux encadrant pour toute l'économie.
Pourquoi l'Etat a préféré augmenter le prix des produits pétroliers au lieu d'instituer une taxe sur la fortune? Sur cet amendement, il y a eu beaucoup de discussions. Mais d'une part, il n'y a pas eu d'étude d'utilité économique et sociale de cette taxe sur la fortune. C'est un amendement qui a été proposé en cours de route lors de la discussion de la loi de Finances, et un impôt ne s'introduit pas de cette manière-là, du moins du côté du gouvernement. D'autre part, on a regardé au niveau des expériences internationales en termes de faisabilité technique et d'utilité économique et sociale, et on a vu que des fois ce genre de mesures peut même nuire à l'économie et à l'investissement, parce que nous sommes dans un environnement régional, et aucun des pays avec lesquels nous sommes en compétition n'a cette taxe. Mais nous avons l'impôt sur le revenu avec une progressivité qui permet d'appréhender les revenus en fonction de leur niveau, nous avons introduit cette année une contribution obligatoire sur les plus hauts revenus, pour les sociétés qui dépassent un certain seuil de gain. Donc c'est une décision qui ne peut pas se prendre à la hâte. Par ailleurs, nous avons les Assises de la fiscalité prévues en début de l'année prochaine pour aborder notre système fiscal qui a été réformé il y a plus de 20 ans. Lors de ces Assises nous pourrons discuter de l'efficacité économique et sociale de toutes les exonérations qui sont déjà en place, mais aussi des procédures fiscales, de l'efficacité de l'impôt, de l'équité fiscale et d'un certain nombre de problèmes. Quelle est la vision du gouvernement pour la réforme du système de compensation ? Pour le moment, il y a eu une étude du Conseil de la concurrence. Nous travaillons également sur des scénarios. Je ne peux pas vous parler des mesures dans les détails, mais l'idée est de dégager des espaces budgétaires par rapport à ces charges de la compensation qui deviennent insupportables pour le budget de l'Etat. Donc il s'agit de dégager des marges budgétaires pour promouvoir l'investissement mais également des politiques sociales. Le deuxième niveau est d'avoir des niveaux de prix qui permettent la concurrence mais également un raisonnement économique en ce qui concerne les matières premières. Et le troisième niveau c'est de travailler sur le ciblage des populations les plus pauvres. Nous avons déjà commencé avec le fonds de soutien mais l'idée est de faire réallouer les marges budgétaires et les économies dégagées au niveau de la compensation vers les plus défavorisés. La Caisse de compensation profite plus aux couches favorisées qu'aux pauvres. Le secteur économique est aussi dominé par certains industriels. Comment le gouvernement compte-t-il faire face à cette situation? En effet, cette compensation profite six fois plus aux riches qu'aux pauvres, mais il y a aussi le deuxième niveau dans le cadre de la réforme de la compensation qui concerne l'introduction de la concurrence. Parce que nous avons effectivement des monopoles, pas des monopoles de droits mais des monopoles de fait sur certains secteurs. Ainsi nous avons un Conseil de la concurrence qui sortira plus renforcé à travers la réforme que nous avons d'ailleurs programmée dans le cadre du plan d'action de la commission nationale des climats des affaires qui aura lieu cette année. Ceci donnera au Conseil son nouveau statut constitutionnel, notamment le pouvoir de l'auto-saisine et bien sûr la prise de décision. Et c'est là où on aura une institution constitutionnelle qui va aider le gouvernement à mettre de l'ordre et de la concurrence dans les secteurs. Mais aussi du côté du gouvernement, la politique est de faire en sorte que les secteurs économiques soient encadrés davantage pour éviter le monopole en établissant des cahiers des charges et faire en sorte que ce soit la capacité technique et professionnelle qui prévaut et pas un certain nombre de décisions administratives qu'on alloue à un secteur, une activité, une entreprise, une personne plutôt qu'à d'autres.
M. Benkirane évoque dans ses discours que ce ne sont pas les pauvres qui utilisent les voitures. Est-ce pour autant qu'il faut affaiblir les classes moyennes? Si je rappelle rapidement les mesures qui ont été prises dans le cadre de la loi de Finances, on peut se rendre compte que la classe moyenne a été ciblée autant que la classe des plus pauvres. Les 13 milliards DH alloués au dialogue social, ce sont des augmentations qui ont touché les classes moyennes, des fonctionnaires. Il y a la mise en place du fonds de soutien social à 2,5 MMDH pour toucher les classes défavorisées, il y a la généralisation du Ramed qui touche quelque 8,5 millions de Marocains. Il y a aussi l'aide directe pour permettre la scolarisation et la lutte contre la déperdition scolaire, il y a aussi le fonds de soutien familial avec 160 millions DH. Les 400 millions DH qui ont permis d'exonérer plus de 3,5 millions de familles de la taxe de promotion du paysage audiovisuel, il y a aussi l'augmentation pour la première fois, trente ans après, de la bourse aux étudiants à qui on a alloué une enveloppe de 300 millions DH. C'est une batterie de mesures d'ordre économique et social qui ont touché aussi bien les couches les plus pauvres que la classe moyenne.