Driss Lachgar a fini par s'imposer comme un homme incontournable au sein de l'USFP. Bourreau de la politique ou bourreau des militants ? L'homme qui s'est imposé à tous est perçu souvent comme un leader par défaut. N'empêche qu'avec son dynamisme, le député de l'USFP ne laisse personne indifférent. Portrait. Trois bonnes décennies nous séparent du moment qui a vu Driss Lachgar, l'actuel chef du groupe parlementaire de l'USFP, arriver au premier bureau national de la Chabiba Ittihadiya en 1975 et celui où il va enfin tutoyer les grands et pas n'importe qui. En 1975, Abdelhadi Khaïrate dirigeait la Jeunesse de l'USFP. En 1978, lors du 16ème congrès de l'UNEM (Union nationale des étudiants du Maroc), le jeune Lachgar, r'bati d'origine amazighe, allait encore s'imposer, mais en tant que bagarreur et grande gueule, caractéristiques dont il ne se départira jamais. Aujourd'hui, les trois hommes se retrouvent tous membres de la hiérarchie de l'un des plus importants partis politiques du pays, ossature de l'actuel gouvernement et principal animateur de l'ex-opposition. «Driss Lachgar a toujours été choisi faute de mieux», commente un connaisseur de l'histoire des socialistes marocains. Jugement sévère ? Jugeons-en ! Juriste de formation, Driss Lachgar passe ses deux ans de service civil au sein du ministère de l'Intérieur. Sitôt après, il est permanent au siège du parti, la mythique villa de l'Agdal abandonnée aujourd'hui par l'USFP, qui a déménagé ses quartiers généraux à Hay Riad. En 1983, au moment où une bonne partie des socialistes s'était retrouvée derrière les barreaux, Driss Lachgar rejoint, en tant que stagiaire, le bureau de Mohamed Elyazghi à l'avenue de France où il continue d'exercer d'ailleurs. Lors du quatrième congrès de l'USFP, en 1984, Driss Lachgar est élu pour siéger à la commission administrative de l'USFP. «Normal, précise un vieux socialiste, puisque tous les cadres de l'époque ont choisi de rallier les sécessionnistes menés et emmenés par Abderrahmane Benameur et Ahmed Benjelloun, fondateurs et actuels responsables du PADS». Une fois arrivé au «pouvoir législatif» à l'USFP, il commencera un travail de longue haleine pour arriver au bureau politique. Son élection au Parlement, début 1990, lui facilite la tâche. Orateur aguerri, vocation professionnelle aidant, il arrive quelque part à faire oublier les envolées rhétoriques d'un Fathallah Oualalou. Sauf que cette fois, c'est pour défendre bec et ongles le gouvernement Youssoufi. Driss Lachgar a la haine tenace. Sa victime terrassée, il n'hésite pas à porter le coup de grâce. Le pauvre Abdelkader Bayna est détrôné de son poste de président de groupe par un putsch savamment orchestré par le même Driss Lachgar, qui s'empare du titre et surtout des privilèges qui vont avec. Notamment, les voyages. Bruxelles, aux dernières nouvelles, a été la dernière destination du président du groupe parlementaire USFP. Après M. Bayna, c'est Fathallah Oualalou himself qui fera les frais des plans de son collègue au BP. Driss Lachgar, sans l'aval duquel rien ne se décide à l'USFP, quitte à faire sortir de ses gonds l'inébranlable Abdelouahed Radi, ira jusqu'à «piquer» sa circonscription (Rabat-Chellah) au pauvre argentier du Royaume. Ces derniers temps, certains mettent, carrément, à son crédit la liquidation de Hassan Tariq de la Chabiba et la démission de Mohamed El Gahs du bureau politique. Soit Driss Lachgar est irrésistible, soit ses adversaires politiques lui prêtent beaucoup. L'été 2001, Driss Lachgar gagne le gros lot. Il est désigné à la tête de la commission d'enquête sur le CIH. Retombées médiatiques et surtout politiques garanties que n'aura pas un Rahhou El Hilaâ, autre grand enquêteur à l'époque à la CNSS. Aux élections de septembre 2002, il en engrange les dividendes comme il en a engrangés en s'imposant comme président du comité d'organisation du 16ème congrès de l'USFP, échéance qui l'a porté au bureau politique. Par défaut? Ses détracteurs disent que oui, en l'absence de gros calibres comme Mohamed Sassi et Noubir Amaoui à qui il a «facilité» le départ. Plus pour «protéger» Mohamed Elyazghi que pour les beaux yeux d'Abderrahman Youssoufi et barrer la route à tout éventuel challenger du premier, le moment venu. Et ce moment viendra effectivement à la fin octobre 2004 quand «l'ermite de Cannes» jettera l'éponge. Lors de la première réunion du BP, c'est Driss Lachgar qui prend le premier la parole pour proposer la diffusion d'un communiqué annonçant l'intronisation de Mohamed Elyazghi. L'initiative tombe à l'eau. Une bonne moitié des membres, presque tous des ministres, ne voulaient pas signer de chèque en blanc. Abdelouahed Radi, depuis ce temps-là, a les yeux sur Lachgar. Ce dernier vole encore plus haut et finit de tisser sa toile autour de Mohamed Elyazghi. «Sa force vient du fait qu'il a fini par prendre en otage le Premier secrétaire de l'USFP et surtout convaincre ce dernier que tout le monde est contre lui», explique une source socialiste. Il réussira, de toutes les manières, à «vendre» le PSD (Parti social démocrate) de Aïssa Ourdighi à Mohamed Elyazghi, la célèbre fusion-absorption qui a précédé la tenue du septième congrès, en juin 2005. Lors de ce même conclave, c'est encore Driss Lachgar qui mène le jeu et multiplie les coups bas contre ceux qu'il avait en ligne de mire. Coups bas bien planifiés, en compagnie de l'inséparable Mohamed Boubekri, dans deux cafés de l'avenue de France à un déploiement d'aile de l'ancien siège de l'USFP. Le PSD est une carte aux mains de Driss Lachgar et il en use pour notamment s'imposer dans les régions. Mohamed Benyahia, député de Chtouka-Aït Baha, en sait quelque chose. Ce proche de Youssoufi a été privé du poste de secrétaire régional de l'USFP pour Souss-Massa-Drâa (au profit d'Abdeslam Rejouani) grâce aux voix des PSD. C'est pour ces raisons qu'on le taxe, au sein de l'USFP, de «patron des ralliés». L'homme prend encore plus de poids et s'érige en principal défenseur des lois électorales au nom de l'USFP, alors que l'on y retrouve sa propre trace et ses propres idées, essentiellement en ce qui concerne l'histoire des seuils. L'USFP en a fait les frais avec la cinglante «gifle» que lui a administrée le Conseil constitutionnel. Il en fera sûrement encore les frais avec l'électorat de la gauche non gouvernementale. «L'entourage familial de Mohamed Elyazghi ne lui fait pas confiance et craint surtout pour l'image que véhicule Lachgar du patron de l'USFP», commente un socialiste qui se dit surpris de voir quelqu'un qui «n'est ni intellectuel, ni idéologue prendre autant de pouvoirs au sein de ce parti». Driss Lachgar n'en a cure. Il continue à taper aux portes du pouvoir. Homme d'appareil, il se prépare à succéder à un autre homme d'appareil et balise le terrain. En attendant, et à 52 ans, ce père de quatre enfants continue de placer les siens. Sa fille aînée est à la fois membre du secrétariat national du secteur féminin et du secrétariat régional de Rabat-Salé-Zemmour-Zaërs. Même en cela, il prend exemple sur Mohamed Elyazghi dont il continue à être l'affidé. «L'USFP est devenu le parti de Mehdi Ben Barka, Omar Benjelloun et Driss Lachgar. C'est une réalité aujourd'hui. Chercher quand même l'intrus ?», dit avec un cynisme consommé un vieux compagnon de route du socialisme marocain. Qu'en penserait Abderrahim Bouabid s'il était toujours de ce monde ?